L'affaire Finkielkraut

Alain Finkielkraut est en pleine tourmente. Accusé d'incitation à la haine raciale par le Mrap, il ne renie pas les propos qu'il a tenu dans l'interview au quotidien israelien Haaretz. Il récuse, par contre, le compte-rendu déformé qui en a été fait par Le Monde. Ce dernier n'a pas hésité à publier une reconstruction tronquée de l'interview à partir d'une traduction contestable. Le résultat de ce procédé malhonnête, c'est de renvoyer l’image d’un penseur supposé raciste, aux convictions méprisables.

Une fois de plus, Le Monde excelle dans son entreprise systématique de censure, d'accusation publique et de lynchage médiatique.

En réalité Finkielkraut dénonce les discours convenus qui réduisent le problème des banlieues à des difficultés sociales, niant sa dimension éthnique et culturelle. La vraie question n'est jamais posée, parce qu'elle est tabou : l'idéologie du métissage ou du multiculturalisme n'est-elle pas une utopie dangereuse qui conduit à l'exacerbation des conflits identitaires et racistes au lieu de les résoudre ?
Aujourd'hui, rappelle Finkielkraut, on assiste à une véritable guerre contre la France, accusée de crimes racistes et de crimes contre l'humanité (colonisation, traite des noirs...). Et ceux qui osent contester la légitimité de ce combat subversif deviennent la cible de toutes les attaques.

Extrait de l'interview sur Europe 1, vendredi 25 novembre : cliquez ici (clic droit pour télécharger)

Revue de presse :
Michel Gurfinkiel : la liberté de la presse est-elle menacée ? (VALEURS ACTUELLES, 2 DECEMBRE 2005). Comment, sur la crise des banlieues, le philosophe Alain Finkielkraut a été entraîné dans un piège médiatique. Comment l’affaire a été exploitée. Et à quelle fin.
Anne-Marie Le Pourhiet : L'esprit critique menacé (LE MONDE, 2 décembre 2005) Renaud Camus, Michel Houellebecq, Oriana Fallaci, Edgar Morin, Olivier Pétré-Grenouilleau, Max Gallo, Elisabeth Lévy, Paul Nahon, Alain Finkielkraut... la liste devient longue et inquiétante des journalistes, écrivains, universitaires et intellectuels poursuivis ou menacés de poursuites pénales par des associations vindicatives et sectaires pratiquant l'intimidation judiciaire...
Extraits du dernier entretien de Finkielkraut au Monde, samedi 26 novembre :
"Il m'est reproché de parler de l'origine des émeutiers. Or ceux qui m'accusent sont les mêmes à prôner la lutte contre les discriminations raciales. Si nous n'avions eu affaire qu'à un problème purement social, il serait traité comme tel. Je ne nie nullement l'existence du racisme subi par ces jeunes.
La question que je pose s'adresse à notre ultime utopie, qu'il y a quelques mois encore Le Monde défendait avec panache : le métissage. On pensait que la réponse au racisme, c'est une société multiraciale. Or une société multiraciale peut être aussi une société multiraciste. Je sais que mon propos est scabreux. Disons les choses clairement : des Français de souche ont aussi participé aux émeutes, mais le gros était constitué de jeunes d'origine africaine et nord-africaine. Toute généralisation est abusive. Le racisme, c'est la généralisation. Mais, maintenant, l'antiracisme risque de devenir une prophétie autoréalisatrice.
Il faut compter aujourd'hui avec une haine de l'Occident dans le monde arabo-musulman qui a des retombées françaises. Mais, bien sûr, il y a aussi des causes à chercher en nous-mêmes. Elles résident dans le vide spirituel de nos sociétés. Ces adolescents ennemis de notre monde en sont aussi la caricature ultime. Ce n'est pas par hasard qu'ils veulent détruire les écoles. Nous vivions dans une société où l'utilité et l'immédiateté ont aboli l'humanisme.
De plus en plus de gens considèrent que l'école est là pour donner du boulot. L'idée que l'enseignement est à lui-même sa propre finalité ne fait presque plus sens. Dès lors, saccager une école qui ne vous garantit rien devient compréhensible.

La révolte ne serait donc pas due aux difficultés d'insertion de ces jeunes, mais à leur rejet intrinsèque du "modèle français" ?

Il n'y a pas que du rejet. D'une certaine façon, ils sont aussi l'avant-garde de ce comportement général de plaignant et d'ayant droit frustré. L'école, c'est le droit au diplôme ; le diplôme, le droit au travail... Il y a là comme un rapport syndical à la réalité, pur produit d'un monde sans repères. Dans les cités, ceux qui jouent le jeu républicain se font traiter très souvent de "bouffons".

Vous dites à Haaretz que vos propos, vous ne pourriez les tenir en France. Que peut-on dire à l'étranger qu'il est impossible de dire ici ?

Il est très difficile en France de résister à un discours convenu qui réduit les événements actuels aux seules questions d'inégalités et de discriminations.

Si, comme vous le pensez, "le modèle républicain s'est effondré dans ces émeutes, mais le modèle multiculturel ne va pas mieux", faut-il conclure à l'impossibilité d'intégrer les populations noires, arabes et musulmanes ?

Cette intégration est notre obligation. Mais la solution ne réside pas dans la stigmatisation incessante de notre pays. On n'intégrera jamais des gens qui n'aiment pas la France dans une France qui ne s'aime pas. Et il faut commencer par réhabiliter l'école. Si la langue française ne reconquiert pas ce territoire perdu qu'est le parler des banlieues, alors, oui, la discrimination à l'embauche et au logement s'aggravera. Dire cela est caractérisé aujourd'hui comme du racisme !

Commentaires

Anonyme a dit…
Du bon usage des citations...

La lecture des ouvrages de A. Finkielkraut en dit suffisamment sur cet auteur ouvert à la réflexion, aux autres et au monde. Seulement, il devient toujours plus périlleux en France de s’engager intellectuellement et Finkielkraut, depuis Aron, est l’un des seuls à oser le faire, encore. Sûrement était ce d’ailleurs encore possible grâce à son maniement précis de langue française, lui autorisant un exposé sans ambiguïté des idées qui fondent son engagement.
Et c’est bien la que le bat a blessé : en y mettant moins les formes qu’à l’accoutumé, le philosophe a permis à ses ennemis, qui n’attendaient que ça, de s’engouffrer. Mais par delà la polémique inhérente aux propos de Finkielkraut, j’aimerais plutôt m’intéresser à ce que cette polémique (pour ne pas dire cette cabale) sous-tend.
A mon sens, le traitement qu’il a été fait de cette information souligne assez le problème que connaît aujourd’hui la société française : Le Monde, lorsqu’il décide de publier des extraits sortis de leur contexte, alors que la situation est déjà tendue sait pertinemment ce qu’il va provoquer et tombe dans le piége de la solution de facilité, de la presse à sensation. Et c’est bien cela le problème récurant de notre société, la solution de facilité. Tout comme l’engagement est devenu rare (il est en effet tellement plus facile de se cacher derrière les piliers de la bienpensance, largement soutenus par Le Monde), le courage politique a disparu (Quel homme politique a un véritable projet pour la France, autre que celui de se maintenir au pouvoir en satisfaisant facilement le peuple duquel il procède ?). Je ne site ici que des exemples généraux mais bien d’autres existent, chacun les verra au quotidien en France, s’il est suffisamment honnête avec lui même
Quel rapport avec cette affaire me direz vous. La réponse est pourtant simple : les français refusent d’affronter la réalité en face. Lorsque, avec la plus grande hypocrisie, on accuse un accuse un philosophe de racisme car il évoque le caractère partiellement culturel et ethnique des émeutes, alors que dans le même temps, on nous explique qu’elles sont le résultat d’un défaut d’intégration, la démocratie s’écroule.
Une explication facile serait sûrement de penser que le peuple n’est pas prêt aux changements et qu’on ne peut pas de fait leur présenter une vérité trop aiguë. C’est là encore totalement hypocrite : les biens pensants entendent bien le rester et pour se faire, ils ne peuvent pas donner à leurs lecteurs les moyens d’exercer un raisonnement critique. Dans le cas contraire, ils auraient publié l’ensemble des déclarations de Finkielkraut et non pas les bribes qui leur permettaient de faire dire au philosophe ce qu’il ne pensait pas. Aussi, quand les journalistes et autres intellectuels avisés cesseront de réfléchir à notre place, la démocratie ne s’en portera que mieux ; et avec elle tout le reste…

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