En finir avec les fables


En ce moment, la bataille fait rage aux USA autour de la réforme du système de santé. Obama, comme il l'avait promis, tente d'instaurer une assurance santé universelle et il fait face à une importante vague de protestations. Comme Bill Clinton dans les années 90, il est probable qu'il soit obligé d'y renoncer d'ici l'automne.
Sur un tel sujet, je m'en tiendrai à deux observations pour clarifier un peu les choses :

1ère fable : le système américain est barbare :

On entend répéter à longueur de temps sur nos onde que 46 millions d'Amércains, (soit 16% de la population), ne sont actuellement pas couverts par une assurance maladie. On en déduit allègrement qu'un tel système est injuste, voire barabare, parce qu'il laisse crever les pauvres...

La réalité est tout autre. La population se divise en plusieurs groupes (le total dépasse 100% car bon nombre d'américains ont deux assurances, privée et publique, notamment les personnes âgées) :

* Ceux qui sont couverts par l'Etat fédéral américain (25% de la population) :
Deux programmes, qui coutent plus de 4% de point de PIB, sont en place :
1) Medicare pour les plus de 65 ans et les invalides, sans condition de ressource. Son coût est de plus de 200 milliards de dollars.
2) Medicaid pour les familles dont les revenus sont égaux ou inférieurs au seuil de pauvreté. Medicaid coiffe une cinquantaine de systèmes, un par Etat. L'Etat fédéral le cofinance.

* Ceux qui sont couverts par une assurance fournie par l'employeur (60%) :
C'est le cas de l'essentiel des Américains. Le système ressemble à nos mutuelles complémentaires, sauf qu'elles ne sont pas complémentaires. Lorsque l'assurance est fournie par l'employeur, elle fait partie de la rémunération du salarié : ce dernier ne paye qu'une partie des cotisations.

* Ceux qui s'assurent directement (10%) :
S'ils ne bénéficient pas d'assurance d'entreprise, les Américains peuvent s'assurer individuellement auprès d'organismes privés relativement chers.

* Ceux qui ne sont pas du tout couverts (16%) :
Parce qu'ils ne sont pas assez pauvres pour être couverts par Medicaid et parce qu'ils ne souhaitent pas s'offrir une assurance individuelle. Il faut en effet rappeler que :
1° l'assurance maladie n'est pas obligatoire
2° ces non-assurés ne souhaitent pas s'assurer car ils ont d'autres projets d'investissement et qu'ils ne craignent pas particulièrement pour leur santé (65% ont moins de 35 ans).

Ajoutons qu'il existe aux USA des free clinics, sortes de centres de soins fonctionnant sur la base de la charité et du volontariat. Ces établissements fournissent donc soins et médicaments gratuits. Ces free clinics fonctionnent grâce aux dons privés. Les associations caritatives et humanitaires de ce type sont nombreuses et comptent des millions de bénévoles.

Ainsi, contrairement à toutes les idées reçues, l'Etat providence existe aussi aux USA (et pas seulement pour l'assurance maladie). Les pauvres et les personnes âgées sont bien prises en charge par l’Etat fédéral. Cette prise en charge recouvre aussi bien les soins dentaires, que les consultations ou les hospitalisations.
Mais la particularité américaine, c'est :
1° l' existence d'une liberté individuelle de choisir son assurance ou de ne pas s'assurer du tout.
2° le refus d'une organisation étatique de la charité qui est laissée à la libre initiative individuelle.

Ce sont ces deux particularités de la tradition individualiste américaine que les socialistes-collectivistes ne peuvent tolérer et qu'il feront tout pour abolir.

2ème fable : le système de soins français est gratuit pour tous :

Sur ce point, j'ai trouvé ce matin un excellent papier de Guy Sorman dans le City Journal, dont j'ai fait une petite traduction pour faciliter la lecture. C'est le système de santé français expliqué à un américain. Mais je recommande aussi le livre de Guy Sorman : Made in USA pour mieux comprendre le système de santé américain, qui est complexe comme on vient de le voir.

L'article de Guy Sorman, daté du 24 août, s'intitule : "Paying for Le Treatment. Nothing is free, certainly not French health care." Il est disponible ici en version originale.

Voici ma traduction :

Récemment dans New York Times, l'écrivain Sara Paretsky a publié « Le Treatment, » racontant la façon dont elle a conduit son mari, souffrant des douleurs de poitrine pendant leurs vacances en France, dans un hôpital local où il a été traité sans délai. Un cardiologue a correctement diagnostiqué le problème, pneumonie, et a administré les médicaments nécessaires. L'hôpital n'a fait payer aucun frais d'avance, bien que le médecin ait dit, en s'excusant, qu'il devrait leur envoyer la facture, car ils n'étaient pas citoyens français. Six mois plus tard, une facture est arrivée pour $220. Paretsky émet une réserve mineure concernant ce système de soins qu’elle considère comme presque parfait : le comportement du personnel hospitalier était plus bureaucratique que joyeux. Elle conclut, cependant, que c'est un petit prix à payer pour d'excellents soins, à un prix imbattable : « Je pourrais accepter beaucoup de bureaucrates laids pour cela. »

Ce qu'elle ne réalise pas c'est que le Français, aussi, aimerait avoir un tel système. L'aventure de Paretsky est une parabole fondée sur une hypothèse fausse : que ces soins peuvent être publics, fiables, et gratuits. Ils peuvent en effet sembler gratuits, ou presque gratuits, pour un touriste américain bénéficiant d'un traitement en cas d'urgence ; cependant, en tant que contribuable français, j'ai payé d’un prix élevé le traitement du mari Paretsky. Et vous, mon lecteur américain, l’avez fait aussi.

Combien ? La coûteuse Sécurité sociale française est la plupart du temps financée par des impôts sur le travail. Un Français gagnant un salaire mensuel de 3.000 euros payera approximativement 350 d'entre eux (déduits par son employeur) pour la Sécurité sociale. Ensuite, l'employeur ajoutera approximativement 1.200 euros, rendant le coût mensuel total pour l'employeur de cet individu, non pas 3.000 euros mais 4200. Les coûts de la main-d’œuvre élevés en France affectent non seulement les prix à la consommation mais également les taux de chômage, puisque les employeurs sont réticents à payer autant pour les travailleurs peu qualifiés. Les économistes conviennent que les taux de chômage et le coût d'assurance de la Sécurité sociale sont directement liés partout, ce qui explique en partie pourquoi même en périodes de croissance économique, le taux de chômage français moyen oscille autour de 10 pour cent.

Aussi élevés qu’ils soient, les impôts sur les salaires ne suffisent pas à couvrir les déficits constants que l'assurance de la Sécurité sociale encourt. La France impose un prélèvement additionnel pour essayer de combler le déficit de l’assurance, la CSG (contribution sociale généralisée), qui s'applique à tous les revenus, y compris les dividendes, et que le Parlement augmente chaque année. Au total, 25 pour cent du revenu national français va vers ce qu'on appelle la Sécurité sociale, qui comprend les soins de santé et les pensions de retraite de base pour tous.

La Sécurité sociale française est également subventionnée par les patients américains. Ceci parce que la France décide des médicaments à utiliser et à quel prix; les sociétés pharmaceutiques américaines doivent accepter le prix dicté ou de perdre un énorme marché. Les compagnies vendent donc leurs médicaments à des prix plus élevés aux États-Unis afin de couvrir leurs dépenses et réaliser un bénéfice ; l'excédent est alors vendu à bon marché aux Français, qui prennent les mêmes pilules que les Américains mais à moitié prix ou moins.

En fin de compte, qui a payé le passage presque gratuit du mari Paretsky dans un hôpital français ? Ouvriers et contribuables français ; patients américains ; et le jeune, peu qualifié et au chomage, incapable de trouver du travail en France, en raison du chômage que la Sécurité sociale engendre. Il n’existe nulle part de système parfait de santé. C'est toujours un compromis à faire entre des produits concurrents, et des choix qui sont en définitive politiques. Les Américains présentant leurs observations sur la réforme du système de santé devraient essayer de rendre les coûts et les conséquences de ces choix transparents, plutôt que de recourir à des fables trompeuses.

Conclusion : les fables trompeuses existent des deux côtés de l'Atlantique... Pour compléter, je recommandeun excellent article critique au sujet du film de M. Moore, Sicko.
  • Nicolas De Pape (23 octobre 2007 - Atlantis Institute). L'auteur passe au crible le documentaire. L'article détaille notamment le type de population qui se trouve sans couverture sociale et les raisons de son choix. Il explique enfin pourquoi le système de couverture universelle, mis en place après la seconde guerre mondiale en France, est voué à disparaitre :

    "Traumatisés par deux guerres mondiales et leur cortège de morts et d’éclopés à vie, ceux qui mirent en place notre système de santé solidaire après-guerre misaient sur quatre hypothèses: forte natalité, lente progression de l’espérance de vie, forte croissance économique et poussée ininterrompue des salaires. Aucune de ces hypothèses ne se vérifie plus aujourd’hui: le taux de natalité est largement inférieur au taux de remplacement, l’espérance de vie atteint des hauteurs inégalées, la croissance économique est relativement faible et nous vivons sous le régime de la modération salariale. En conséquence, de moins en moins de jeunes, au pouvoir d’achat insuffisant, sont condamnés à payer les soins de personnes âgées de plus en plus nombreuses et par définition les plus consommatrices: la lutte des générations prend le pas sur la lutte des classes. A côté d’un progrès des technologies médicales heureusement sans limite, il faut attendre du décodage du génome humain une nouvelle génération de médicaments aussi “intelligents” que coûteux. Dans ce contexte, imaginez que notre système de soins puisse survivre sans réforme d’envergure relève de l’aveuglement ou de la malhonnêteté intellectuelle. Deux sentiments qui semblent, volontairement ou pas, animer Michael Moore dans son dernier et brillant opus: Sicko."

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