« La politique est l’art de ce qui se voit et l’économie, la science de ce qui ne se voit pas »

Students For Liberty Paris organise avec Alain Madelin un cycle de conférences à la découverte de l'économie. La deuxième conférence d’Alain Madelin, donnée le 4 décembre 2012 et intitulée Ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas, était consacrée à Frédéric Bastiat.

« La politique est  l’art de ce qui se voit et l’économie, la science de ce qui ne se voit pas ». Telle est la leçon de Bastiat. Voir la vidéo ci-dessous et la synthèse plus bas.

La prochaine conférence se déroulera le lundi 7 janvier à 18h30. Pour en savoir plus voir ici.


Synthèse de la première conférence : A la découverte de l’économie
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Frédéric Bastiat sur Coppet

Synthèse de la conférence par Danielle :

Frédéric Bastiat (1801-1850)

Il étudie à Sorèze, dans le Tarn, où il échoue au baccalauréat. Il découvre l’économie et s’intéresse à Jean-Baptiste Say, puis apprend les langues, ce qui l’amène à découvrir en Angleterre Cobden qui se bat contre les lois céréales, en tant que protectionniste (on dit de lui qu’il serait l’inventeur de la propagande politique). En France devient rédacteur en chef du journal des économistes. 

Également homme politique, il se présente pour la première fois en 1830 à députation, devient conseiller général puis membre de la constituante (le 23 avril 1848), avant d’être élu à l’assemblée législative où il siège à gauche. C’est un libéral (de gauche), qui se fait défenseur des petites gens, des ouvriers, consommateurs, du droit de grève et coalition. Il reconnaît le besoin de sécurité des ouvriers. Il promeut le secours mutuel, même s’il prophétise le projet de nationalisation pour donner la sécurité sociale payée par l’impôt et où « feindre une maladie ne sera autre chose que de jouer un bon tour au gouvernement ». 

Bastiat défend le capital pour expliquer à la manière moderne que l’accumulation du capital ; le capital est deux fois l’enrichissement du travailleur : il augmente la production, donc diminue le prix du bien à la consommation ce qui augmente le salaire (donc bénéficie à la population). Il a souvent anticipé les théories économiques qui s’affirmèrent plus tard ; il a montré que la libre concurrence sur le marché est une découverte qui permet aux individus de coordonner leur actions pour atteindre chacun leurs objectifs qu’Hayek théorisera. La valeur est par nature subjective. Il faut regarder les préférences du consommateur révélées dans le marché. 

Le génie de l’auteur est d’expliquer l’économie et les principes complexes par la satire et la parabole ; il dénonce les sophistes, un sophisme étant un raisonnement d’apparence logique, mais s’avérant finalement erroné. En économie, l’art du raisonnement gagne beaucoup à connaître toutes les formes de sophismes, qui est « L’art d’avoir toujours raison » – Schopenhauer. Toutefois, la force des sophismes est plus grande aujourd’hui puisque c’est ce qui se voit et qui est nourri et amplifié par la force des images. Le raccourci des mots, de la communication privilégie l’image, comme disait Marx : « qui croyez-vous ? Moi ou vos propres yeux? ». Dans ce qui se voit, les apparences sont trompeuses. Mais notre culture conduit à privilégier l’apparent et la pensée prélogique. Dans la pensée prélogique, tous les faits sociaux sont le résultat d’actes intentionnels. On regarde les maux sociaux sous l’angle de coupable/victime. L’enchainement des mécanismes logiques du marché est ignoré, alors que l’on dénonce ce « grand méchant marché » ; la solution proposée est alors l’action publique de l’Etat. A travers la victimisation, on recherche des coupables, que l’intervention du gouvernement va punir, tout en récompensant « les bons ». C’est l’arme nouvelle de la fiscalité du bien et du mal. 

Dans notre époque d’image, la parabole de Bastiat est plus que jamais utile, car puissance des sophismes et de la rhétorique est mise au service de la représentation animiste. Il réfute ainsi les sophismes sur l’emploi, en dénonçant la balance du commerce avec la parabole du négociant qui achète pour 10 000 francs de vin, qui consiste à vouloir protéger, encourager le travail national contre concurrence étrangère et celle des machines. 

Ce qui se voit et ce qui ne se voit pas 

L’auteur suggère comme l’indique le titre de son œuvre qu’il y a des choses que l’on voit, et a contrario d’autres que l’on ne voit pas. Ex : si on casse la fenêtre d’un tiers, ce qui se verra, ce sera le carreau qu’il faudra remplacer pour 6 francs ce qui permettra de faire vivre le vitrier. En revanche, ce qui ne se voit pas, c’est l’autre utilité que l’on aurait pu faire des 6 francs (acheter un livre, etc.), l’argent qui aurait pu être déversé ailleurs. 

La main qui donne et la main qui prend 

Frédéric Bastiat cita la lettre d’un électeur dans laquelle ce dernier suggérait d’incendier Paris pour créer des emplois. 

Ex : Ce que l’on voit : l’Etat construit pour votre avenir. Ce qu’on ne voit pas : l’impôt, et surtout l’Etat qui les dépense. Il prélève 4 pour distribuer 3 car au passage il faut faire vivre l’administration. 

Ex : les emplois verts, censés créer des milliers d’emplois. Or, les bons emplois résultent de l’innovation, et les mauvais sont ceux qui pour prospérer ont besoin de subvention. Ainsi, un emploi vert détruit 4 emplois normaux. Ce qu’on ne voit pas, c’est la destruction d’emplois ailleurs. 

Ex : Prenons le droit à l’éolienne. Tout le monde n’a pas le même accès au vent. A cet effet, on crée des ventilateurs, que l’on place face aux éoliennes. Les calculs sont formels : le coût de consommation du ventilateur (tarif EDF normal) étant moins élevée que celui de la production par éolienne (Tarif de rachat réglementée), on gagne de l’argent. Néanmoins, ce qui ne se voit pas, c’est le gaspillage de richesse. 

L’économie est avant tout un raisonnement logique. On différencie le bon du mauvais économiste ; l’un s’en tient à l’effet visible, l’autre à ce que l’on ne voit pas. Ex : Le traité d’économie politique de Joseph Garnier (fin XIXe) débute par ce qui se voit et ce qui ne se voit pas. Ex : l’économie politique en une leçon d’Henri Hazlitt, où on envisage les effets plus lointains de l’économie. 

Un profit, deux pertes 

Si un couteau anglais se vend dans notre pays pour 2 francs, et qu’en France, un couteau fabriqué nationalement en vaut 3, si on laisse le consommateur libre d’acheter le couteau qu’il veut, il gagne un franc, qu’il peut investir ailleurs (dans un livre par ex). Donc la censure des couteaux anglais reviendrait à perdre deux fois (une perte pour une autre industrie et pour le consommateur). Une protection, c’est l’équivalent d’un impôt ; elle rend le produit national plus cher. 

Les faux emplois chassent les vrais (cf lettre fabriquant de draps, qui met plus une heure de plus par drap qu’un autre). Le travail n’est pas un but en soi ; le but est la satisfaction des besoins, la limitation des obstacles au bonheur des hommes. La richesse, c’est l’efficacité. Et l’efficacité grandissante d’une société ne détruit pas des emplois, mais rend le travail disponible pour surmonter d’autres obstacles. Pour Bastiat, le gouvernement serait un enrailleur, mettant des obstacles sur le chemin des entrepreneurs. 

La main droite et la main gauche

L’auteur met en avant la création d’obstacles, avec l’image d’une société dans laquelle l’usage de la main droite serait interdit. 

Pour Alfred Sauvy, pour créer de l’emploi, on pourrait remplacer des camions par des brouettes. Bastiat établit un parallèle entre le protectionnisme à l’encontre des importations étrangères et la lutte contre les machines. Ces deux actes procèdent de la même doctrine. Ce qui est machinal, la machine le fait ou le fera. Ce que la machine ne fait pas chez nous, le chinois peut-il le faire ? Ce qui est certain, c’est que nos machines pourront le faire ; c’est la robot-localisation. L’objection rencontrée est axée sur l’idée que si une machine libère du travail, elle fabrique des chômeurs. Les richesses ne bénéficieraient ainsi qu’à une personne mais ce raisonnement omet la théorie du déversement, selon lequel on obtient moins d’emplois industriels mais plus de productivité. Pour qu’il y ait un déversement, il faut au préalable le laissez-faire et les suppléments de salaire d’un cadre permettront par exemple de payer des emplois de service. 

Ces problèmes sont rencontrés par l’action politique et économique

Dans une parabole, Bastiat met en exergue la connivence entre le mauvais capitaliste de l’époque qui cherche à obtenir un avantage de l’Etat par le protectionnisme (cf. : Monsieur Prohibant qui fabrique du fer moins bon marché qu’en Belgique, et qui prend dans un premier temps sa carabine pour aller supprimer ses confrères belges, avant de se résigner et de chercher de l’aide auprès de l’Etat français). Ou encore la pétition des fabricants de chandelles qui désirent que les lois interviennent pour bloquer l’accès à la lumière du jour afin que les chandelles n’aient plus le soleil en concurrence. 

Mais derrière la problématique de l’économie, il y a la logique de l’action humaine. Au cœur de l’économie, on trouve l’homme dit « rationnel », avec l’hypothèse de la rationalité des comportements humains. 

Mieux vaut parler d’action intentionnelle, au sens où il y a toujours une raison d’agir et qu’elle part de l’homme. Si on veut refaire le raisonnement, rien ne vaut la parabole de Robinson Crusoé comme point de départ ; Robinson est seul sur son île, il a faim, soif, doit chercher un abri et guetter un bateau ; ce qu’il va faire en premier dépend de ses choix ; s’il privilégie la faim, il va chasser, pour la soif trouver source…. Tout seul sur son île, il doit faire des choix économiques. Faut-il construire un récipient pouvant contenir de l’eau ou chercher une source ? Pour se nourrir, il va pêcher, mais cela prend du temps. Faut-il fabriquer un filet ? Mais avec l’arrivée de Vendredi, Samedi et Dimanche sur l’île, apparaît une situation d’échange avec un rapport de droit, usage de troc, division du travail, que l’on n’a pas lorsque Robinson est seul sur son ile. Les rapports humains dans une telle communauté relèvent de la théorie des jeux, la logique de l’action humaine. L’économie part de l’Homme qui agit et entreprend. Qui dit action humaine dit action individuelle. Évidemment, les Hommes agissent collectivement, mais toute action est le propre de l’individualisme. 

On ne peut pas dire la société veut, exige, la société ne mange pas, ne bois pas, seuls les individus agissent. L’individualisme méthodologique s’oppose au holisme (consistant à croire qu’il existe un tout supérieur à la somme des parties). 

La logique de l’action humaine 

Ludwig von Mises (1881-1973, école autrichienne) évoque l’action et la nature humaine, la société d’échange et la coopération dont l’économie n’est qu’une partie. Il met en exergue la praxéologie, qui se définit comme étant une science de l’action efficace, théorie de la pratique. A travers la praxéologie, on recherche les lois pures, la logique de l’action indépendante de toute conception. Chaque homme agit en fonction de sa propre échelle de valeur, de ses besoins qui sont l’héritage de sa culture et de sa propre expérience. S’il adopte comportement moutonnier, c’est un choix. C’est le schéma traditionnel de celui qui économise la prise d’informations et préfère puiser dans son stock de savoir. Le marché favorise les comparaisons et permet de prendre des choix entre plusieurs projets concurrents. La praxéologie distingue l’action même des limites institutionnelles, extérieures avec la religion ou intérieures comme la conscience. On prend en compte les moyens utilisés et les objectifs recherchés. Remarque : avec Bastiat, on parvient aisément à comprendre la praxéologie puisque l’on repère la faille et la logique pour faire percevoir l’action logique. 

Les statistiques ou prétentions mathématiques sont utilisées à l’appui de raisonnements sophistiques pour faire perdre le vrai, le réel. Ex : fêter des anniversaires c’est bon pour la sante ; plus on en fête plus on devient vieux 

L’illusion des apparences : la loi de l’incidence fiscale 

Celui qui paie l’impôt n’est pas toujours celui qui le supporte. Ex : si on impose une taxe au propriétaire bailleur, celle-ci sera répercutée sur les loyers. 

L’autre tromperie des apparences est celle prétendant supprimer le marché (ce que l’on voit), mais dont la résurgence est le côté que l’on ne voit pas. Ce n’est pas car on ne voit pas au premier regard un marché, qu’il n’existe pas. Les politiques d’apparence généreuse le sont moins comme le démontre l’ « effet Matthieu », consistant à prendre aux pauvres pour donner aux riches, illustré aujourd’hui par les aides au développement par lesquelles on enrichit les riches des pays pauvres. 

On peut également citer les « faux droits » de jacques Rueff (1896-1978), tels que les droits sociaux non financés et donc non honorés.
Rueff est dans son action connu pour les réformes économiques mises en œuvre en France en 1958. Il a réuni un comité d’expert pour frapper l’inflation, relancer la croissance et assainir les finances publiques. Il a eu dans ses entreprises le soutien de Charles de Gaulle, et le « plan Rueff » a été annoncé pour lancer la nation dans le marché commun. Toutefois, ce rapport a été amendé par les blocages rencontrés avec la société française. Rueff mettait en avant les droits de créance généreusement distribués et les droits gagés par les fausses créances. « Avec une autre machine de planche à billets, les faux droits sont remboursés en fausse monnaie ; c’est la recette du gouvernement gratuit. L’égout collecteur des faux droits est la monnaie ». Mais cela constitue en réalité une fuite en avant de l’endettement ; à son époque, les faux droits conduisaient à l’inflation, et aujourd’hui ils mènent à la dévaluation de l’État et des autorités publiques. 

Ainsi, le mensonge est à bannir ; « soyez libéraux, soyez socialiste… mais ne soyez pas menteur » (Jacques Rueff). 

Conclusion 

Le refus du mensonge économique, c’est le message de Bastiat ; il faut différencier ce qui se voit de ce qui ne se voit pas pour démasquer la manipulation des mots et ajouter les chiffres pour apprendre à raisonner en économiste.



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