Nouvel opium (suite)


Ces jours-ci, avec le Grenelle de l'environnement (ou bien Grenelle de Nicolas Hulot, devrait-on dire), quelques personnalités prennent publiquement la parole pour dénoncer la fascination de nos politiques en mal d'idées pour cette nouvelle morale planétaire.

L'occasion pour moi de donner une suite à mon article précédent sur le nouvel opium des intellectuels et de proposer quelques liens ou citations d'articles et de livres sur le sujet.

Philosophes et économistes contre l'écologiquement correct.


Vendredi 19, Luc Ferry, auteur du livre "Le nouvel ordre écologique" (livre de poche) publiait un article dans le Figaro intitulé : "Ce "Grenelle" n'a de légitimité ni scientifique, ni républicaine". Il pointe la dérive totalitaire de l'écologisme : utiliser la peur planétaire pour justifier la mainmise sur l'économie et la suppression des libertés économiques et politiques. Le vieux rêve marxiste pourrait enfin se réaliser "démocratiquement", gentiment, doucement...

Voici le début de son article :
Au fond de l'écologie contemporaine, il y a toujours cette « grande peur planétaire » que les militants déclinent en une multitude de rubriques : épuisement des ressources naturelles, dangers nucléaires, traitement des déchets, manipulations génétiques, réchauffement climatique, atteintes à la biodiversité, pollution des mers et des rivières...
Craintes factuelles et empiriques, portant sur des périls dont on devrait bien parvenir un jour à mesurer de manière scientifique la réalité et la portée exactes.
Mais il y a plus, et autre chose, dans le souci de préserver la nature telle qu'elle est, voire de la restaurer telle qu'elle fut pour la transmettre aux futures générations : le principe fondateur d'une « autre politique », plus ou moins anticapitaliste et altermondialiste, qui soumette enfin l'économie à l'écologie.
Et pour la justifier, rien n'est plus précieux que de pouvoir s'appuyer sur cette formidable et si commune passion qu'est la peur.
Voilà pourquoi l'écologie radicale se plaît à souligner en permanence le décalage entre la faiblesse de nos lumières et l'extraordinaire potentiel de destruction dont nous disposons. Comme le monstre de Frankenstein ou la créature de l'apprenti sorcier, notre monde industriel et technicien aurait développé des capacités d'anéantissement de la terre d'autant plus effrayantes qu'elles échapperaient au contrôle de leurs créateurs. Avec un tel discours, plus besoin de discussion : les esprits sont prêts à être mis au pas pour accepter de bonne grâce les mesures liberticides qu'on cherche à leur imposer.

Sur la même page du Figaro, signalons aussi l'analyse d'un économiste, André Fourçans, professeur d'économie politique à l'Essec. Selon lui :

"Maintes et maintes questions se posent qui relèvent pour l'essentiel du domaine de l'économie, et qui ne seront pas résolues par de grandes déclarations morales ou de belles envolées lyriques sur « la planète qui brûle ». Elles exigent de la raison économique, de l'intelligence créatrice, des marchés dynamiques et ouverts, et un État « incitateur » à la bonne performance environnementale (sans négliger les autres préoccupations économiques), plutôt qu'à la contrainte bureaucratique.

Et puis, trop garder la tête dans le guidon, fût-il vert, peut nuire à la perspective. Un fait, un simple fait, en matière de réchauffement climatique. La France représente environ 1,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Si, par un quelconque coup de baguette magique, on parvenait à gommer ces émissions, le thermomètre baisserait d'un formidable montant : sans doute un ou deux millionièmes de degré d'ici à la fin du siècle !"

Dans le même ordre d'idée, le 28 janvier 2007, Claude Allègre évoquait le pacte écologique de Nicolas Hulot et plaidait pour une écologie compatible avec la croissance économique et l'innovation technologique (ce qui n'est pas le cas du pacte de Hulot) :
Vive l’écologie moteur de la croissance ! A bas l’écologie du déclin !

L'hyper-écologie ne vaut pas mieux que l'hyper-technologie.

Du côté des philosophes, il faut citer aussi Jean-Marie Meyer, professeur en classes préparatoires HEC à Stanislas. Dans son livre sur les animaux et les hommes, il aborde la question de l'hyper-écologie (ce que j'ai appelé l'écologisme). Extraits :

"Les défenseurs des droits de l’animal sont des ultra-écologistes pourfendeurs de l’industrie biotechnologique mais ils partagent le même non-dit : ils oublient le visage et le mystère de l’homme. La dignité humaine n’est plus au centre. On ne parle plus de l’homme, on parle du « vivant » qui n’est qu’un matériau. L’hyper-technologie s’arroge le droit de manipuler l’humain ; l’hyper-écologie résorbe l’humain dans le « Grand Tout » de la Nature. Ces deux courants font la même impasse sur l’originalité de l’espèce humaine ; la dignité humaine n’est plus au centre. Ils oublient ainsi l’essentiel qui est de distinguer entre la protection d’une espèce et le respect d’une personne et cela souligne, s’il en était encore besoin, l’urgence de la vigilance philosophique. "

"Donner des droits juridiquement et politiquement reconnus aux bêtes, c’est contester la notion même de Droit, qui est propre à l’homme. C’est abattre l’anthropocentrisme qui place l’homme au centre de la Création. Ainsi, les droits de l’animal tueraient les Droits de l’Homme."
(Source : Nous sommes des animaux mais on n’est pas des bêtes - Libres propos d’un philosophe sur les animaux et les hommes – Ed. Presses de la Renaissance – Avril 2007)

Retour sur Al Gore, le truand.


Sur un autre plan, plus scientifique et juridique, un juge britannique a émis des réserves concernant le film d'Al Gore "Une vérité qui dérange". Il relève 9 erreurs ou approximations résultant d'un contexte alarmiste et d'exagération.
Selon Le Monde, "La Haute Cour de Londres a conclu mercredi 10 octobre, soit un jour avant qu'Al Gore reçoive le prix Nobel de la paix, que le documentaire de l'ex-vice-président américain, intitulé Une vérité qui dérange, sur les effets du réchauffement climatique, ne pouvait être présenté dans les écoles britanniques."
"Le juge Michael Burton n'a pas estimé nécessaire de l'interdire mais tout de même décidé que le film devait être distribué accompagné d'une notice proposant les autres points de vue sur le sujet afin de respecter les lois qui exigent une expression équilibrée des idées politiques dans les écoles. "Il est maintenant courant de dire que ce n'est pas seulement un film scientifique – même s'il est clair qu'il s'appuie sur des recherches et des points de vue scientifiques – mais aussi un film politique", a déclaré M. Burton, dans son jugement cité par le quotidien britannique The Times."
Le juge "estime que certaines affirmations sont fausses, qu'elles ne résultent que d'"un contexte alarmiste et d'exagération". Il relève neuf erreurs ou approximations. Ainsi, il considère l'affirmation de M. Gore selon laquelle le niveau de la mer pourrait s'élever d'environ six mètres "dans un futur proche" comme "clairement alarmiste" et "non conforme au consensus scientifique" autour de cette question. Autres allégations de l'ancien vice-président mises en doute : il n'y a "aucune preuve", selon le juge, qu'une île du Pacifique ait déjà dû être évacuée en raison de l'élévation du niveau de la mer, et il est "très peu probable" que le Gulf Stream, courant chaud de l'océan Atlantique, disparaisse.
Le juge souligne par ailleurs que contrairement aux affirmations de M. Gore, la communauté scientifique n'est pas parvenue à démontrer qu'il y avait un lien direct entre l'assèchement du lac Tchad ou la fonte des neiges du Kilimandjaro et le réchauffement climatique. "Il est bien plus probable", selon le juge, que la situation du lac Tchad soit liée "à d'autres facteurs, comme l'accroissement de la population, ou le pâturage intensif, ou des variations régionales du climat".

Un peu d'humour pour finir
.


Les Dix Commandements selon le pacte de M. Hulot :

- La Nature tu aimeras, plus que l’Homme assurément,
- Nucléaire tu combattras, sans relâche continûment,
- OGM tu détruiras, sans coup férir obstinément,
- Effet de serre tu abhorreras, sans comprendre évidemment,
- Désormais tu mangeras légumes bio uniquement,
- Le mouton tu sacrifieras pour loups et ours sauvagement ;
- Economie : tu ignoreras ses contraintes naturellement,
- Du bois tu te chaufferas, croyant bien faire tout bonnement,
- Progrès technique tu combattras, sans états d’âme et constamment,
- La Planète tu vénéreras, sans les Humains évidemment.


(Cité par Claude Allègre dans Ma vérité sur la planète, Plon Fayard 2007)














Commentaires

Marvel a dit…
" qui soumette enfin l'économie à l'écologie."

Finalement la question de fond c'est est-ce que les activités humaines doivent être soumises au bien commun ?
Autrement dit vu pour une démocratie (et sans ouvrir le débat de la légitimité de la démocratie) : Est que l'économie ou la recherche scientifique doivent être soumise au contrôle démocratique ?

Quand on connait les dérives de l'ultralibéralisme (par exemple des grandes firmes pharmaceutiques qui décident à partir de spéculation boursière leur stratégie de mise sur le marché de molécules) ou de la recherche scientifique (par exemple ceux qui travaillent sur l'exogenèse - utérus artificiel- ou l'hybridation homme-animal), il n'y a pas d'autre réponse que oui.

Marvel
Gallatin a dit…
Cher Nicomaque:

Tes deux articles tombent au bon moment. Le but final est bien évidemment d'établir un gouvernement mondial, et l'écologisme semble être une propagande suffisamment bonne pour faire approcher ce but sans trop de recours à la force. Le recours à la force est le dernier ressort, car il a tendance à démotiver les producteurs, et parfois ses conséquences sont difficiles à contrôler. Il est donc préférable d'entretenir une caste d'intellectuels qui génèrent idée sur idée dans l'espoir qu'il y en ait une qui convainque les gens d'abandonner volontairement encore un peu plus de leur liberté et de leur souveraineté individuelle. Dans ce foisonnement incessant d'idéologies asservissantes, l'écologisme se démarque par sa capacité à émouvoir les foules et à contraindre les producteurs. Le gouvernement mondial unique est en marche! Quand il sera en place, je dirais d'ici 20 ans à vue de nez, on ne pourra plus se cacher nulle part. Et c'est à ce moment-là qu'ils commenceront la répression physique contre les libres penseurs.

En attendant, il n'y a qu'une chose à faire: s'amuser!
Gallatin.
Damien Theillier a dit…
En réponse à Marvel, oui bien sûr je suis d'accord avec toi sur les grands principes de la morale politique : le bien commun, le respect de la personne humaine etc. Mais quand Luc Ferry parle de soumission de l'économie à l'écologie, il parle de suppression des libertés fondamentales : droit à la propriété privée, liberté d'entreprendre, d'échanger. Cela est contraire au bien commun justement car contraire à la dignité de la personne. C'est cela que veulent les militants de l'écologisme : toujours plus d'interventionnisme et d'étatisme. Non seulement ces solutions ne sont pas efficaces mais en plus elles sont contraires à l'éthique la plus élémentaire.
Gallatin a dit…
Pour répondre à Marvel:

D'abord, je dois relever le mot "ultra"-libéralisme: qualifier quelque chose d'ultra, c'est impliquer qu'il est extrême, donc peu suivi, donc peu recommandable. Je ne me permettrais jamais de qualifier ta position d'ultra-écologiste ni d'ultra-marxiste, ça serait mal poli...

Quant au fond: je ne vois pas en quoi une grande firme pharmaceutique peut prétendre "posséder" une molécule. C'est sûrement parce qu'un gouvernement est prêt à dépenser l'argent qu'il a extorqué de force à ses contribuables pour défendre le brevet qu'il a accordé à cette grande firme pour une bouchée de pain. Sans gouvernement, la grande firme ne pourrait jamais se comporter ainsi. Donc ce que tu dénonces est en fait une dérive de l'ultra-étatisme, pas de l'ultra-libéralisme.

Le monde occidental vit en démocratie depuis un ou deux siècles, et ça n'a pas empêché de tels errements de se produire. En effet, l'hypothèse de base de la démocratie est que 51% de la population est sage: la majorité choisira toujours la "bonne" voie. Ayant un peu étudié l'histoire, mon impression est plutôt que 51% de la population est manipulable. A mon avis, la démocratie est un Dieu qui a échoué. Il est temps de considérer certaines alternatives.

Gallatin.

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