René Girard et la guerre


Dans son livre « Achever Clausewitz » (Carnets nord), René Girard livre une sombre analyse : « Il n'y a plus de politique intelligente, dit-il au Point . Nous sommes près de la fin. »


CSOJ - René Girard


Ecouter ici l'émission Répliques avec R. Girard, samedi 24 novembre 2007

Un entretien avec R. Girard à propos de son dernier livre

René Girard : « la guerre est partout »
18/10/2007 - Propos recueillis par Élisabeth Lévy - © Le Point - N°1831
L'anthropologue de la violence et du religieux René Girard, de l'Académie française, a découvert chez Clausewitz, une référence en matière de stratégie militaire, d'étonnantes similitudes avec ses thèses.

Pour vous, la « rivalité mimétique » est le moteur même de l'Histoire. Qu'est-ce qui vous fait penser qu'aujourd'hui il s'emballe ?

Les guerres mondiales avaient marqué une étape dans la montée aux extrêmes. Le 11 septembre 2001 a été le début d'une nouvelle phase. Le terrorisme actuel reste à penser. On ne comprend toujours pas ce qu'est un terroriste prêt à mourir pour tuer des Américains, des Israéliens ou des Irakiens. La nouveauté par rapport à l'héroïsme occidental est qu'il s'agit d'imposer la souffrance et la mort, au besoin en les subissant soi-même. Les Américains ont commis l'erreur de « déclarer la guerre » à Al-Qaeda alors qu'on ne sait même pas si Al-Qaeda existe. L'ère des guerres est finie : désormais, la guerre est partout. Nous sommes entrés dans l'ère du passage à l'acte universel. Il n'y a plus de politique intelligente. Nous sommes près de la fin.

L'Apocalypse est-elle pour demain ?

Bien sûr que non, mais, dans le monde actuel, beaucoup de choses correspondent au climat des grands textes apocalyptiques du Nouveau Testament, en particulier Matthieu et Marc. Il y est fait mention du phénomène principal du mimétisme, qui est la lutte des doubles : ville contre ville, province contre province...Ce sont toujours les doubles qui se battent et leur bagarre n'a aucun sens puisque c'est la même chose des deux côtés. Dans ces conditions, je ne vois pas de tâche plus importante que de rappeler sans cesse le réalisme de la révélation et des textes apocalyptiques. Mais même l'Eglise ne s'y réfère plus jamais. Quand j'étais gosse, les dimanches qui suivaient la Pentecôte étaient les dimanches apocalyptiques, et c'est là-dessus que portaient les sermons. On a cessé de prêcher là-dessus en 1946 : après la bombe, c'était devenu trop brûlant.

Mais alors, l'humanité a-t-elle encore le choix ou est-ce déjà trop tard ?

Nous sommes menacés de mort. Le message judéo-chrétien est que si nous ne nous réconcilions pas, il n'y a plus de victimes sacrificielles pour nous sauver la peau. L'offre du royaume de Dieu, c'est la réconciliation ou rien. Malheureusement, nous sommes en train de faire le second choix par ignorance et paresse. La seule solution est de refuser toute violence, toutes représailles. Je ne suis pas du tout sûr d'en être capable, mais les Evangiles nous disent que c'est la seule issue. Le drame, c'est qu'on choisit toujours le court terme. Nous sommes tous dans la position de Louis XV : « Après moi, le déluge. »
« Achever Clausewitz. Entretiens avec Benoît Chantre » (Carnets nord, 2007, 360 pages, 22 E).

Commentaires

Anonyme a dit…
Pour restaurer une certaine logique et dans l'impossibilité d'identifier un adversaire dont on ne sait même pas s'il existe vraiment, Bush a déclaré la guerre successivement à deux Etats, Afghanistan, puis Irak. Dans les deux cas, croyant rétablir l'équilibre, il n'a pas été en mesure de susciter un adversaire - un ennemi - selon l'acception classique du terme dans le cadre d'une guerre "institutionnalisée". Confronté au terrorisme aveugle qui suppose l'acceptation de sa propre mort en même temps que celle d'autrui, l'Occident peine à trouver la parade. Car c'est bien contre l'Occident que le terrorisme s'affirme, et ce n'est pas le moindre paradoxe qu'il recrute souvent sa cheville ouvrière parmi des individus en apparence parfaitement assimilés dans les états occidentaux mais en réalité pétris de ressentiment.
Anonyme a dit…
En réponse à ce ressentiment, l'acceptation de la mort par le kamikaze est envisagée comme vengeance ultime impropre à enrayer le cycle continu de la violence. René Girard nous dit que seule la mort sacrificielle et acceptée comme telle est de nature à restaurer la relation, rendre possible la réconciliation et en fin de compte instaurer la paix.

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