Faut-il moraliser le capitalisme ?


La semaine dernière je lisais une excellente chronique de A.-G. Slama dans le Fig-mag. Je la reproduis ici tout en renvoyant à un article que j'avais écrit il y a quelques temps sur Hayek et la justice sociale. Pour Hayek (idée reprise par André Comte-Sponville) moraliser le capitalisme n'a aucun sens. Je cite Hayek :

"Un marché fonctionnant de manière spontanée, où les prix agissent comme guides de l'action, ne peut pas prendre en compte ce dont les gens ont besoin ou ce qu'ils méritent, parce qu'il crée une distribution que personne n'a conçue. Et quelque chose qui n'a pas été conçu, une simple situation en tant que telle, ne peut pas être juste ou injuste. L'idée que les choses doivent être conçues d'une manière "juste" veut dire, en fait, que nous devons abandonner le marché et nous tourner vers une économie planifiée dans laquelle quelqu'un décide combien chacun doit recevoir. Et ceci signifie, bien sûr, que nous ne pouvons obtenir cette situation qu'au prix de l'abolition complète de notre liberté personnelle."

Bien sûr, la crise actuelle peut, en un sens, résulter d'un manque de morale et de régulation. Mais il s'agit alors d'un manque de régulation juridique et non de régulation économique. Ce qui est immoral, c'est que l'Etat ne fasse pas son travail de gendarme pour punir de façon réellement dissuasive les comportements de prédateurs de certains dirigeants de multinationales ou grands groupes financiers (chose par ailleurs bien difficile tant les sommes accumulées par ces groupes font paraître ridicules les amendes de plusieurs millions d'euros qui sont prévues par la loi).

Voici la chronique de Slama du 11 octobre :

Plus la crise s'aggrave, plus se multiplient, à tous les niveaux, les appels à « moraliser le capitalisme ». L'expression est doublement dangereuse : parce qu'elle sert indirectement la propagande de l'ultra-gauche, selon laquelle le capitalisme est intrinsèquement pervers ; et plus gravement encore, parce que, prise à la lettre, elle aboutirait à le paralyser.

Le capitalisme est un système d'organisation de la production des richesses. Il n'est, par lui-même, ni moral ni immoral. Il est, par définition, a-moral. Les qualités qu'il exige de ses principaux acteurs, telles que les a définies Max Weber, sont la continuité dans la recherche du profit, le sens de leur intérêt bien compris, le goût du risque, la capacité d'innover, et si ces qualités concourent à l'intérêt général, c'est par le biais de la création de richesses, du pluralisme concurrentiel et de la liberté des échanges, qui impliquent, tôt ou tard, le développement de la liberté politique. Cet esprit a puisé, à l'origine, ses motivations dans des visions du monde religieuses, mais il récuse autant l'angélisme que le nihilisme, et un responsable qui voudrait garder en toutes circonstances les mains pures se condamnerait, selon la formule célèbre de Péguy, à n'avoir pas de mains *. Il faut toujours en revenir, sur ce sujet, à la fable des abeilles de Mandeville, qui doivent leur efficacité à un vice : leur goût du profit, leur âpreté au gain !

Certes, le capitalisme a besoin de règles, mais ces règles, destinées à garantir l'équité des contrats, à éviter les positions dominantes ou à lutter contre les dérives bureaucratiques, n'ont que peu de rapports avec la morale. Moraliser les capitalistes peut, comme aujourd'hui, avoir un sens encore qu'il s'agisse en l'occurrence, de sanctionner les abus les plus intolérables plutôt que de mettre en oeuvre une politique autoritaire des revenus, qui, partout où elle a été tentée, a eu pour principal effet de briser le ressort du capitalisme. La morale est affaire de conscience individuelle. Elle ne se décrète pas, sous peine d'imposer une morale d'Etat, autrement dit un Ordre moral qui, en niant l'autonomie de l'individu, nie sa responsabilité morale. Il existe là un danger auquel nous devons prendre garde.

Les périodes de crise, en effet, qu'elles aient été provoquées par un séisme naturel, une défaite militaire ou une faillite économique, ont toujours été favorables à un retour de l'Ordre moral ; avec pour résultat d'enfoncer dans la crise au lieu d'aider à en sortir. Il suffit de se reporter aux périodes de la Terreur blanche, de l'après-Sedan ou des lendemains de juin 1940 pour savoir que les moments de catharsis et de pénitence collective qui se sont réclamés de l'Ordre moral ont été, invariablement, exploités par des courants radicalement hostiles au régime libéral, accusé de tous les crimes, pour faire valoir des fins qui ont servi, à chaque fois, des thèses politiques extrémistes.

* Sur ce débat, la référence demeure Michael Novak, Une éthique économique : les valeurs de l'économie de marché, Cerf, 1987, à rééditer d'urgence.

(ps : Michael Novak est un disciple de Hayek)

Commentaires

Sylvain a dit…
Bonjour, je viens de découvrir votre blog, et je le trouve très bon. Un prof de philo libéral, en France, il ne doit pas y en avoir beaucoup, je trouve cela très rafraichissant.

Par contre, je ne vois pas vraiment de quoi vous parlez lorsque vous dites:

<< Ce qui est immoral, c'est que l'Etat ne fasse pas son travail de gendarme pour punir de façon réellement dissuasive les comportements de prédateurs de certains dirigeants de multinationales ou grands groupes financiers (chose par ailleurs bien difficile tant les sommes accumulées par ces groupes font paraître ridicules les amendes de plusieurs millions d'euros qui sont prévues par la loi). >>

De quels "comportements prédateurs" parlez-vous?

Les vrais comportements prédateurs des entreprises sont ceux réalisés avec l'aide de l'état: obtention de monopole, ou mise en place de barrières à l'entrée dans son secteur d'activité permettant de limiter la concurrence (licences, régulations onéreuses, taxes d'importation etc). Sur un marché libre où la violence est rejetée, il n'y a pas de "comportement prédateur", juste des entreprises plus performantes que d'autres, satisfaisant mieux leurs clients.

La crise actuelle n'est pas une crise due à des comportements prédateurs, il s'agit d'une crise du système monétaire. Je recommande ce livre de Rothbard: http://www.scribd.com/doc/11452701/Murray-Rothbard-Etat-quastu-fait-de-notre-monnaie

Cet article offre aussi une perspective très intéressante de la chose: http://unqualified-reservations.blogspot.com/2008/09/maturity-transformation-considered.html
Damien Theillier a dit…
Je pensais à des Madoff ou Enron mais aussi et surtout à des pratiques beaucoup plus courantes et tout aussi verreuses, consistant pour des banquiers à vendre des produits financiers totalement opaques. Un peu plus de transparence me semble une règle élémentaire dans les transactions, surtout avec des petits clients. Mais c'est vrai qu'en me relisant, j'ai été peu clair et mes propos sont ambigüs. Merci pour les liens tout à fait pertinents sur la monnaie.

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