Remarques sur le négationnisme et sur ce que doit être sa critique


On parle beaucoup de l'affaire Williamson en ce moment, cet évêque anglais qui nie l'existence des chambres à gaz. Dans une interview parue samedi 7 février, dans l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, ce dernier refuse de renier ses propos négationnistes, faisant fi de l’injonction du Vatican lui ordonnant de clarifier ses positions. Il indique qu’il lui fallait étudier d’abord les «preuves», avant d’éventuellement retirer ses déclarations niant l’existence des chambres à gaz. «Il s’agit de preuves historiques, pas d’émotions. Et si je trouve des preuves alors je rectifierai », a dit l’évêque.

Je voudrais citer 2 collègues, professeurs de philosophie, qui bien avant cette affaire, s'étaient exprimé sur la question du négationnisme.
Le premier, c'est Gildas Richard, l'auteur de l'excellent site Invitation à la philosophie

Il propose de distinguer 2 points (2 ordres, comme dirait Pascal)
1° savoir si un événement a bien eu lieu (question historique)
2° savoir quel jugement moral on porte sur un génocide, qu'il ait eu lieu ou non (jugement moral)

Tout le problème vient du fait qu'on confond les deux. Si l'on veut échapper à cette confusion voici comment il faudrait parler à Williamson :

" Nous ne vous demandons pas si vous pensez que le génocide des Juifs a bien eu lieu, à telle époque et du fait de telles ou telles personnes ; à vrai dire nous sommes même prêts, pour les besoins de la discussion, à vous accorder la thèse que vous avancez sur ce point, et à admettre que les nazis, lors de la dernière guerre mondiale, n'ont peut-être pas commis un tel acte. Ce que nous vous demandons, c'est ce que vous pensez d'un tel acte, considéré en lui-même, dans sa signification morale, et sans entrer dans la question de savoir s'il a déjà eu lieu dans le passé : car c'est là une autre question, qui n'a aucune incidence sur celle que nous vous posons maintenant ".

Lire l'article en son intégralité

Le second auteur, c'est André Comte-Sponville. A propos de la loi Gayssot, qui criminalise le négationnisme, il montre aussi qu'il ne faut pas confondre les ordres. La vérité historique ne relève pas de la politique, ni de la loi. Elle relève de la recherche par les historiens. Il appartient à la loi de protéger la liberté de la recherche, mais non de dire le vrai ou le faux :

"La loi Gayssot, qui interdit le négationnisme, est absurde.
D’abord, tous les historiens savent que les chambres à gaz ont existé. Autant légiférer contre l’affirmation que deux et deux font cinq. Ensuite, cela ne renforce pas la position de 99,9 % des historiens qui savent que les chambres ont existé, au contraire, puisque chacun sait qu’ils n’ont pas le droit de dire l’inverse. Enfin, on ne vote pas sur le vrai et le faux. La souveraineté ne s’étend pas jusqu’à la vérité. Le jour où le peuple votera que le soleil tourne autour de la terre, cela ne changera
rien à la réalité"

Et il ajoute :

"On ne vote pas sur le vrai et le faux.
La démocratie, si elle l’oublie, n’est plus qu’une sophistique vaine et dangereuse. Va-t-on voter pour savoir si la Terre tourne autour du Soleil, ou s’il y a eu des chambres à gaz à Auschwitz ? La vérité n’obéit à personne, fût-ce au peuple souverain. Elle ne relève pas de la démocratie. Mais aucune démocratie, sans elle, ne serait possible. (...) La démocratie n’est possible qu’à la condition d’accepter ses propres limites, sa propre finitude, sa propre incomplétude, comme diraient les logiciens. Sans quoi ce n’est plus démocratie, mais sophistique et nihilisme. Si tout se vote, rien n’est vrai et rien ne vaut. C’est au contraire parce qu’il y a des choses qui ne se votent pas – spécialement ce qui relève de la connaissance et de la morale – que l’on peut voter sur les autres, qui relèvent de la politique. La démocratie ne tient lieu ni de raison ni de conscience : elle ne vaut, et même elle n’est possible, qu’à la condition de le reconnaître. C’est ce qu’on appelle la laïcité, qui interdit au souverain – fût-il le peuple lui-même – de gouverner les esprits."


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Commentaires

Anonyme a dit…
Certes on ne peut contraindre personne à adhérer à la vérité et encore moins à l'aide d'une loi.

Néanmoins tout ce qui va à l'encontre de la vérité est détestable par nature. Les victimes d'injustice le savent très bien.

SL

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