Libéralisme et justice pénale. Alain Laurent
Conpte-rendu de l'intervention d'Alain Laurent le jeudi 10 juin, dans le cadre de son séminaire privé : Chemins de traverse du libéralisme.
A/ La philosophie pénale : un sujet omis par les libéraux.
Nous allons traiter d’un thème qui est, une fois de plus, un point aveugle dans la pensée libérale alors que c’est un problème central des sociétés démocratiques libérales : la philosophie pénale, le droit pénal. Il est surprenant de constater que chez les grands penseurs libéraux consacrés, non seulement il n’y a pas d’ouvrages qui, en tant que tels, traitent de cette problématique mais aussi, pour les avoir lus et relus, il n’y a parfois même pas de chapitre ou deux-trois pages traitant de cela. C’est surprenant parce qu’on ne peut pas en dire autant chez les adversaires du libéralisme qui se sont longuement emparés de ce sujet. Bien sûr, il y a bien des ouvrages qui traitent de la tolérance zéro et qui critiquent le laxisme dans lequel se sont abîmées peu à peu les sociétés libérales, mais ils sont le fait d’auteurs que l’on peu qualifier de conservateurs. Ils assument la chose alors que chez les libéraux, et pas seulement les économistes libéraux, c’est un terrain totalement en friche. Et les rares fois où il y a des commentaires de libéraux sur ce sujet c’est pour dire qu’ils sont partisans des peines « douces », soit disant comme Tocqueville l’aurait signifié. Tocqueville a pourtant dit des choses censées dans son fameux rapport sur le système pénitencier qui a précédé « La démocratie en Amérique ».
B/ Deux philosophes qui ont énoncé des principes libéraux à propos de la justice : Kant et Locke.
1/ Kant
Mais il faut remonter avant 1837 pour trouver un auteur libéral qui se soit exprimé sur ce sujet c'est-à-dire que depuis deux siècles il n’y a pratiquement rien. Avant Tocqueville, Locke d’une part et Kant d’autre part, avaient posé de très solides principes libéraux dont le libéralisme pourrait s’inspirer. Mais le problème est que chez de soi-disant libéraux contemporains (disons plutôt du genre « liberals » à l’américaine) … Kant a affirmé à plusieurs reprises et démontré que l’on fait honneur au criminel en le condamnant à mort puisqu’on le traite comme une personne responsable, qui a sa dignité, qui n’est pas une machine ou un animal et que par conséquent au nom du principe de responsabilité individuelle il convient de le traiter comme il le mérite.
Je crois me souvenir que chez Luc Ferry, même cela était considéré comme dépassé ! Il est curieux de voir des chroniqueurs contemporains faire leur « marché » chez les auteurs : sur un point qui leur déplaît ces derniers sont dépassés mais sur un autre point qui leur plait, au contraire alors ils apparaissent comme novateurs. On aimerait connaître le critère à l’aide duquel ils disent que Kant est dépassé lorsqu’il soutient la légitimité de l’administration de la peine de mort et n’est pas dépassé lorsqu’il prétend autre chose… Il y a une malhonnêteté intellectuelle tout à fait étonnante dans la mesure où elle n’a pas de justification.
2/ Je faisais allusion à Locke : lui aussi a dit des choses dans son « Deuxième traité du gouvernement civil ». Il a posé de véritables jalons d’une pensée libérale en la matière mais il n’est pas très populaire actuellement puisque Locke a affirmé que lorsqu’un individu viole les droits d’un autre individu, il perd lui-même ses propres droits humains et Locke considère qu’il convient de lui administrer le châtiment qui convient. Or actuellement parler en philosophie pénale de « châtiment » est quelque chose d’insupportable, c’est contraire aux droits de l’homme.
C/ Le retournement des valeurs
1/Constat : forfaiture de la justice institutionnelle
Avec Damien Theillier nous formons le projet de publier un jour prochain un ouvrage sur la question avec un titre provisoire « La compassion dévoyée ». Qui s’attire la compassion ? Pas tellement les victimes des viols, agressions, délinquances, etc. mais plutôt les auteurs desdits crimes, ce qui est le monde à l’envers. N’importe qui a droit à la compassion sauf s’il est un homme blanc, adulte, responsable, rationnel, etc.
Nous comptons partir d’un état des lieux, d’un constat fait il y a quelque temps lors d’un colloque organisé par l’Institut pour la Justice , colloque au Sénat tout à fait intéressant et révélateur où étaient recensés un certain nombre de faits où, étrangement, la justice institutionnelle commettaient des actes de forfaiture en libérant par anticipation un certain nombre de criminels ou en projetant un allégement des peines. Un point de départ dans cet état des lieux sera simplement tous ces faits bien connus, dont la bonne presse de gauche fait état : tel criminel récidiviste a été libéré -alors qu’il avait été condamné par exemple à 20 ans d’enfermement- au bout de 10 ans et s’est empressé de recommencer. Quand on souligne cela on est immédiatement accusé de populisme. « Populisme » est cette rafale de mitraillette tirée à bout portant par tout penseur de gauche qui tient une chronique. Par exemple aux Pays-Bas hier il y a eu la victoire d’un parti soi-disant populiste parce qu’il a l’heurt de ne pas tout à fait apprécier l’islam. Donc populisme est un anti-concept, ça ne veut plus rien dire puisque à chaque fois qu’on n’est pas d’accord avec la pensée dominante on est immédiatement accusé de populisme sans d’ailleurs la moindre justification rationnelle. C’est un qualificatif qui est imposé comme un autre que j’ai bien connu il y a une trentaine d’année : « anticommunisme primaire ». A l’époque la presse bien pensante s’empressait de clore tout débat en assenant cela ; donc maintenant c’est devenu « populisme » ou « xénophobe », etc.
2/ Un retournement de valeurs en faveur du criminel contre les vraies victimes.
A travers tous ces faits qui défraient la chronique, on s’aperçoit que, d’une part les crimes et délits sont peu chèrement payés. (même dans les sentences prononcées. Il est fréquent par exemple que le Parquet doive intervenir pour délibérer à nouveau) Mais le pire qui avait été souligné dans ce colloque est que, à l’insu du public, la quasi-totalité des peines prononcées ne sont pas exécutées. C'est-à-dire que le principe de la réduction automatique de peine, à 50% de ce qui est prononcé, est administré partout. Il est intéressant et curieux de voir que lorsqu’il y a une affaire judiciaire ou qu’un crime ou délit est commis, les journalistes disent aussitôt : « Et il encoure jusqu’à… » Ou « Il encoure jusqu’à la perpétuité ». Vous pouvez alors être sûrs de tout sauf de cela : il n’encourra jamais ce qui est annoncé ! Il s’agit d’une imposture totale ! Lorsqu’un criminel doit encourir trente ans, on sait qu’il ne fera pas ces trente ans. Il y a –j’ai déjà utilisé le terme dans mon ouvrage précédent « La société ouverte et ses nouveaux ennemis » à propos de l’émigration, l’islamisation, etc. - forfaiture. Mais cette forfaiture ne se manifeste pas que là : le fait que les responsables de l’Etat, les gouvernants, les dirigeants (j’inclus évidemment la Magistrature dans tout cela) annoncent une chose et en font une autre de tout à fait différente et qui contrevient aux principes constitutionnels qui sont posés et admis, c’est une affaire courante.
Il y a une autre expression très fréquente employée par les médias et qui en dit long sur l’esprit du temps, c’est : « Il a purgé sa peine ». La peine purgée n’est surtout celle qui a été prononcée bien entendu ! « Il a purgé sa peine » signifie que, s’il avait été condamné à 10 ans, au bout de 5 ans il a purgé sa peine puisque tous les juges libèrent –je dirais dans 95% des cas les personnes qui sont incarcérées à partir de ce moment-là. Donc, il faudrait considérer que, par un principe qu’on cherche vainement à voir explicité par ceux qui prennent toutes ces responsabilités, les juges renvoyant aux législateurs et les législateurs revoyant au laxisme des juges, c’est sans doute évidemment de la faute des deux associés, et bien on se trouve dans un état de forfaiture totale où on n’encoure pas grand-chose lorsqu’on viole les droits des autres.
Il y a un autre terme qui est tout à fait symptomatique, c’est lorsque l’auteur d’un délit s’exprime et dit en parlant d’un viol par exemple : « J’ai commis une bêtise ». Donc violer les droits de l’autre, c’est faire une « bêtise ». Parfois c’est une « erreur ». Un terme qui n’est jamais revendiqué, celui de « faute morale ». L’idée de faute a totalement disparu du champ de la réflexion contemporain. Le terme « bêtise » renvoie à cet autre terme si prisé dans les médias, celui « d’incivilité » : vous agressez quelqu’un, vous le piétinez sauvagement, c’est une « incivilité ». Cette « incivilité » est forcément générée par la crise économique puisqu’il ne saurait y avoir d’individus malintentionnés dans le monde idyllique et irénique de la gauche et des médias bien-pensants. Donc tout cela que vous pouvez vérifier tous les jours : lorsqu’il y a eu ce braquage hyper-violent sur l’autoroute A4, lorsque les premiers protagonistes ont été identifiés, et bien, le premier qui a été nommé (je ne me souviens plus de son nom) est quelqu’un qui avait été condamné effectivement à je crois 10 ans de prison mais qui avait été libéré au bout de 5 ans. Cela veut dire que c’est la norme. Il faudrait refaire le Code Pénal et diviser par deux toutes les peines qui sont énoncées.
3/ Conclusion : la banalisation du crime
C’est une situation gravissime et je vais poser un premier principe : plus on vit et plus on veut vivre à juste titre dans une société libéralisée où il y a de plus en plus de libertés individuelles, et plus il faut être impitoyable avec tout ce qui viole le principe constitutif d’une société de libertés, à savoir le respect intégral du droit d’autrui, du droit des autres. Or, c’est évidemment l’inverse qui se passe actuellement où l’on pense que ça n’est pas si grave que cela de violer le droit des autres. Moi je prétends l’inverse et je le prétends en tant que libéral : une société libérale ne peut subsister, se développer, reconnaître de plus en plus d’accès aux libertés ou à la liberté individuelle qu’à la condition que tout ce qui transgresse la liberté individuelle des autres soit sanctionnée de façon, j’insiste et j’assume, impitoyable. Actuellement, il faut avoir pitié du délinquant, de l’auteur d’un crime ou d’un délit puisque c’est lui-même qui la victime. Donc il y a une sorte d’inversion des valeurs, d’inversion des rôles, c’est tout juste si on ne pense pas que parfois les vraies victimes d’actes de délinquance ne sont pas eux-mêmes les responsables. Vous savez qu’à un moment donné on disait lorsqu’une femme avait été violée qu’elle l’avait bien cherché. Heureusement maintenant, avec le féminisme ambiant, ça se soutient beaucoup moins. Cela se pratique encore beaucoup dans les milieux musulmans : la chasse aux femmes légèrement vêtues car se sont elles qui sont les responsables des viols qu’elles subissent. Mais ce principe on peut le généraliser actuellement ; on pourrait dire : « Au fond, pourquoi vous promenez-vous le soir dans telle rue, vous cherchez à vous faire agresser ? » Il y a donc cette inversion des responsabilités et des rôles.
D/ La culture de l’excuse et la philosophie pénale libérale
1/ Le criminel devient une victime, la légitime défense devient un crime.
J’aimerais qu’il y ait un diagnostique libéral formulé… Comment se fait-il que cet aspect des choses soit si peu analysé, critiqué par les penseurs libéraux ? On vit tout de même dans un monde à l’envers où le criminel devient la victime pratiquement plus sanctionné et où, à force de parler de « bêtise », « d’erreur » ou « d’incivilité », on banalise le plus grave dans une société civilisée, à savoir le non-respect du droit de l’autre à vivre librement, à demeurer le propriétaire de ses biens, etc. J’ose à peine parler de propriété puisque, vous le savez, la propriété est une infâme invention capitaliste et bourgeoise et par conséquent vouloir défendre la propriété, c’est quelque chose de tout à fait inadmissible. Il vaut mieux parler du fait de respecter la vie ou l’intégrité ou la dignité de l’autre… On en avait parlé à propos du thème de la propriété intellectuelle : actuellement vouloir défendre ses biens ou sa propriété c’est pratiquement considéré comme une agression à l’égard du « malheureux » agresseur. Si vous avez le malheur, au regard de la justice française, actuelle, de vous opposer physiquement à l’intrusion de quelqu’un chez vous, c’est vous qui êtes le coupable, c’est vous qui êtes le violent, l’agresseur et l’autre d’ailleurs (et certains ne s’en privent pas) peut porter plainte contre vous. Vous savez qu’il a fallu beaucoup d’ardeur aux avocats qui ont défendu ce commerçant qui il n’y a pas longtemps, a fait feu sur quelqu’un qui était rentré chez lui (j’espère ne pas réinventer le scénario : mais je crois qu’il a récupéré l’arme avec laquelle il était, lui et les siens, menacé, et il a fait feu). Donc, malgré le fait qu’on se trouve devant un cas parfaitement évident de légitime défense, cet individu a été poursuivi et il a fallu se démener pour que justice lui soit finalement rendue. Mais, dans un premier temps, c’est lui que les juges ont poursuivi ! Et dans certains cas (je n’invente pas) ce sont les agresseurs qui portent plainte contre la victime qui s’est défendue, soi-disant avec excès. Si ce n’est pas là un non respect absolu, une agression à l’égard de ce que défendent, depuis toujours les libéraux, à savoir le respect intégral des droits de l’être humain, alors, encore une fois, c’est que les mots n’ont plus de sens et je réitère ma question : comment se fait-il que les libéraux soient muets là-dessus ? Est-ce que c’est un problème plus général qui reflète ce qu’on pourrait appeler une « décivilisation » contemporaine sous prétexte de dire qu’on vit dans une société de plus en plus humanisée et ce serait exactement l’inverse qui se passerait.
Il y a une idéologie parfois implicite mais souvent explicitée par des philosophes, des juristes, qu’on peut appeler « la culture de l’excuse », notion venue des États-Unis – de Robert Bidinotto qui parle d’ « Excuse Making Industry ». On passe son temps à fabriquer des justifications qui excusent ceux qui agressent. Cette « culture de l’excuse » en France est aussitôt récusée par ceux qui tiennent la place en matière de commentaires sur ces problèmes de justice.
2/ Qu’est ce qu’un criminel ?
Le principe sur lequel, à mon sens, les libéraux devraient prendre appui pour définir une philosophie pénale, est celui et avant tout de la responsabilité individuelle. Il y a là un problème de fond. Il faut commencer par ce que un auteur canadien, Maurice Cusson a étudié, la définition d’un criminel. Qu’est-ce qu’est un criminel ? Comment interpréter, comment définir ce qui fait qu’un criminel est donné comme criminel ? La position de l’idéologie dominante, à laquelle participe malheureusement un certain nombre de libéraux, est que le criminel n’est que le fruit soit d’un déterminisme social, soit, le plus souvent, le fruit d’un déterminisme du à la crise économique. Autrement dit, si on vivait dans une société de plein emploi où il y aurait liberté économique totale, il n’y aurait alors pratiquement plus de criminels, plus personne ne porterait atteinte à la liberté ou à la dignité des autres. Pourquoi est-ce une fantasmagorie totale ? Cela renvoie à un différent presque d’ordre anthropologique à propos de la nature humaine.
En ce qui concerne la nature humaine, je suis certainement beaucoup plus proche de Freud que des penseurs libéraux. Freud disait que si on savait à quoi s’en tenir sur les fantasmes qui habitent l’être humain et bien on verrait que (peut-être déjà nous-mêmes) nombres de nos voisins et concitoyens sont des criminels en puissance. Si on passait à l’acte à partir des fantasmes qui sont les nôtres on viendrait à ce que Platon avait très bien compris dans un de ses mythes les plus célèbres, « l’anneau de Gygès » : si l’être humain avait le pouvoir de se rendre totalement invisible (c'est-à-dire : pas vu pas pris) il donnerait libre cours à ses fantasmes les plus horribles. Platon concluait sur la nécessité de l’éducation de l’être humain puisque toute la sphère instinctuelle et pulsionnelle de l’être humain est quelque chose avec lequel on doit compter.
Petite parenthèse à la séance précédente (libéralisme et littérature), j’avais relevé que dans la littérature mais également dans le polar, le triller bien peu nombreux étaient les auteurs libéraux. Il y a quelques jours je lisais un polar de Maxime Chatham qui un publié un livre intitulé : « La théorie Gaïa » dans lequel on se demande s’il n’y a pas une prolifération des tueurs en série. A un moment donné, l’auteur explique pourquoi il y aurait plus de tueurs en série : ce serait Adam Smith et sa théorie de la main invisible. Pourquoi ce dernier serait le plus grand criminel de l’humanité, bien pire qu’Hitler ? C’est parce qu’il a défini l’être humain comme un calculateur rationnel. Qu’est-ce qu’un tueur en série si ce n’est justement un calculateur rationnel, quelqu’un qui, comme l’avait dit Sade, est prêt à acheter le plus petit de ses plaisirs par le plus grand déplaisir pour les autres. Sauf qu’Adam Smith n’a jamais dit ceci. Il faut n’avoir jamais lu « La théorie des sentiments moraux » de Smith pour sortir une horreur pareille. Le polar est complètement pénétré par l’idéologie gauchiste et anti-libérale la plus primaire.
J'en reviens à mon sujet : qu’est-ce qu’un criminel ? D’après Maurice Cusson, c’est un calculateur rationnel pour lequel la plus petite satisfaction de ses appétits « égoïste » (au mauvais sens du terme, pas au sens randien) vaut n’importe quel tourment pour les autres. Un criminel est quelqu’un qui nie totalement l’humanité des autres, qui instrumentalise totalement les autres au service de ses projets, de ses fins, de ses fantasmes et j’ajouterais, ce qui est peu souvent intégré dans la philosophie pénale, que c’est souvent quelqu’un qui en plus en jouit. Ce n’est pas seulement quelqu’un qui est indifférent à la dignité, à la liberté et à la souffrance des autres, c’est quelqu’un qui en tire plaisir. La dimension sadique est au fond une excroissance (aurait dit Freud) du sentiment de toute puissance infantile. Le moment où l’égocentrisme est totalement dévoilé ; vous savez qu’il faut durement peiner pour arriver à discipliner un enfant dans ce domaine de la satisfaction pulsionnelle. Le criminel est quelqu’un qui continue à vivre dans ce monde l’enfance où tout est permis à condition de ne pas se faire prendre. C’est donc quelqu’un qui se livre à un calcul rationnel et conscient de coûts et avantages.
E/ La philosophie pénale libérale
E/ La philosophie pénale libérale
1/ Déviance du principe utilitariste appliqué à la justice
J’évoque ici des considérations à partir de la justice française. Je ne me prononce pas pour les autres pays et les Etats-Unis. A ce propos, je suis inquiet car j’ai appris qu’à cause des déficits énormes engendrés par la politique keynesienne d’Obama, on a commencé à réduire les places en prison et on est en train de libérer les criminels pour faire des économies. Ce qui, de mon point de vue, montre que si l’on se réfère trop à l’utilité de la peine, à une perspective uniquement utilitariste, le principe d’utilité pour arriver à justifier n’importe quoi, ce que Benjamin Constant avait remarqué. On devrait s’en tenir à une justification jusnaturaliste des droits de l’être humain : c'est-à-dire tout ce qui viole ces droits doit être impitoyablement puni, même si ça apparaît inutile, même si ça n’a pas d’utilité immédiate, c’est quelque chose qui doit être rappelé comme on procède à un rappel à la loi. J’entends la loi pas seulement au sens juridique du terme mais presque au sens Lacanien du terme : quand l’enfant doit faire connaissance avec la loi qui interdit telle ou telle transgression. C’est quelque chose que selon on ne peut transiger : un droit naturel et donc par nature inviolable et par conséquent tout ce qui le transgresse doit être poursuivi ne serait-ce que pour réaffirmer symboliquement la supériorité de la loi. Donc ce qui se passe aux États-Unis est tout à fait inquiétant car cela prouve une rupture dans la jurisprudence qui était sous les administrations présidentielles précédentes toujours renommée dans le monde entier pour la dureté de sa justice pénale (peine de mort). Actuellement, avec l’administration Obama, on est en train de prendre le tournant contraire.
A partir du moment où l’on pose qu’un criminel ça n’est pas forcément quelqu’un qui est le fruit malheureux de la crise économique ou des injustices sociales (je vous rappelle les confessions d’un ministre français, Lionel Jospin, il y a une dizaine d’années, qui partait de l’idée bien socialiste que c’est le social qui est à la base de toute criminalité, il ne peut y avoir de mauvais individu sur terre : il avait convenu finalement que les socialistes avaient fait preuve d’un peu trop d’angélisme à ce sujet) mais au contraire quelqu’un comme vous et moi, quelqu’un de rationnel et doté de responsabilité, qui sait ce qu’il fait, qui donc a procédé à un calcul rationnel de coûts et avantages d’où il évacue totalement la douleur, la peine, les droits de l’autre, alors on se demande au nom de quoi il faudrait faire preuve de douceur ou de compréhension à son égard.
2/ Le principe libéral de la dureté de la peine
Le principe de tolérance zéro dont on ne parle plus est un principe libéral par définition. Un libéral ne peut, ne doit tolérer aucune transgression aucune atteinte à ce qui fait la dignité et la liberté d’autrui quelques soient les prétextes invoqués. La pauvreté qui est souvent invoquée comme explication à défaut d’être une justification du passage à l’acte du criminel, n’est absolument pas convaincante. Si les socialistes avaient deux sous de logique et de réflexion ils devraient se dire que tout pauvre est désigné comme criminel en puissance et devrait être suspecté dès qu’il se passe quelque chose. Or évidemment il n’en est rien : il n’est nullement fatal qu’un pauvre passe à l’acte criminel pour satisfaire tel ou tel besoin.
Les libéraux posent toujours par ailleurs que, s’il doit y avoir un Etat, sa justification majeure, voire sa seule justification, c’est justement de faire respecter la loi et de poursuivre tout ce qui est crime, fraude, violence etc.
L’autre principe à poser qui est un pur principe libéral : plus on vit dans une société ouverte, plus on s’ouvre au maximum de libertés individuelles (c’est cela le projet libéral), plus il faut être, dans le même temps, d’une extrême rigueur avec tous ceux qui transgressent ce principe et agressent l’autre puisque, sans cela, une société libérale n’est pas viable. Ou alors il faut comprendre qu’une société libérale est une société dans laquelle il faut perpétuellement se méfier des autres.
A partir du moment où l’on pense qu’il doit y avoir des peines dures (et on ne prend pas en compte les fantasmes et les états d’âme supposés du criminel), à quoi cela sert-il ? C’est la seule question à ne pas poser. Si on la pose tout de même. (Je rappelle que dans le couple prévention-répression, les journaux de droite sont toujours accusés d’être les partisans sauvages de la répression et les autres ne pensent qu’à la rédemption et à la prévention, mais il faut souligner que le grand principe libéral n’est pas la prévention mais la répression et je trouve étonnant que les libéraux n’assument pas sur ce plan leur parti pris d’une répression impitoyable) Une répression rigoureuse du crime a un effet préventif. Les adversaires de la répression disent toujours, par exemple : « La peine de mort n’a jamais empêché qu’il y ait des criminels. » Il n’empêche que depuis la suppression de la peine de mort, nul ne peut prétendre que la criminalité ait baissé (c’est plutôt l’inverse qui s’est produit). Et lorsqu’on prétend parfois qu’elle n’empêche pas le crime de se produire, il faut se demander s’il y avait encore moins de peines un peu dures, qu’est-ce qui se passerait alors ? Donc la corrélation entre peines dures et criminalité ne prouve rien, c’est plutôt l’inverse qu’il faudrait poser.
3/ Tendance à l’abolition de l’incarcération
Tous ces problèmes sont cruciaux : il y a une sorte de néo-abolitionnisme qui se développe actuellement. Il y a quelques mois, il y a eu une manifestation à Paris (ou Poitier) par un mouvement anti-carcéral très important qui se développe en France. Par abolitionnisme il faut comprendre non une menace du retour de la peine de mort mais la volonté d’abolition des peines de prison. Ce qui me laisse supposer que lorsqu’il y eu une campagne initiée par Badinter et consorts contre la peine de mort, la plupart des journalistes n’ont pas compris que c’était le premier temps d’une campagne pour supprimer toute peine encourue par les criminels et délinquants. Maintenant on est passé au deuxième temps (on s’est attaqué à la perpétuité qui n’existe plus en réalité) puis au troisième temps : liquider la peine de prison elle-même. Ce mouvement est bien plus puissant qu’on ne l’imagine, drainé par des universitaires qui soutiennent que la prison ne sert à rien sinon à produire davantage de criminels. Il s’agit en fait d’une banalisation totale et définitive de l’acte criminel.
Il est vrai qu’il y a des situations de promiscuité scandaleuse dans les prisons, promiscuité génératrice de nouveaux passages à l’acte criminel mais ces désastres sont techniquement réparables. Vous n’ignorez pas que beaucoup de prisonniers se voient offrir quelques services en prison : des spectacles de théâtre, des vacances, etc. Bien des gens qui sont actuellement défavorisés et arrivent péniblement à joindre les deux bouts, aimeraient bénéficier de tout ce que l’on offre pour la « réinsertion » d’un criminel, terme béni des bien-pensants. A moins de faire preuve d’un angélisme criminel, il faut bien poser qu’il y a des gens irrécupérables et non-réinsérables. A partir du moment où l’on se demande si quelqu’un qui a pris plaisir à torturer ses semblables, en sachant ce qu’il faisait, en liquidant deux-trois autres, est réinsérable, il ne faut plus réfléchir, cela signifie que l’on vit dans la plus sauvage des sociétés. C’est sans doute de ce point de vue là que mon libéralisme est teinté fortement de conservatisme : par le passé, en effet, on comprenait beaucoup mieux de quoi il retournait de ce point de vue là et aujourd’hui la dégénérescence de la pensée est totale.
4/ Conclusion : nécessité de réaffirmer certains principes de justice par les libéraux
Il faut que les libéraux prennent position à l’égard de ce néo-abolitionnisme : à partir du moment où l’on comprend bien que le droit pénal et derrière lui la philosophie pénale, doit d’une façon absolue réaffirmer des principes qui sont ceux du droit absolu de tout être humain à vivre en sûreté. Je préfère le terme de sûreté à celui de sécurité : aujourd’hui, l’un des plus grands « crimes » est de se dire « sécuritaire » ; « sécuritaire » devient le terme passe-partout avec lequel dans les médias ou à gauche, on interdit immédiatement de parole ou de réflexion quiconque veut être un peu rigoureux. Sans jamais le justifier. « Solidaire », oui, « sécuritaire », surtout pas ! Et au nom de quoi vouloir vivre en sécurité est-il mauvais, au nom de quoi prendre des dispositions de sécurité est-il mauvais ?! Or, être sécuritaire est un principe libéral. Mais il vaut mieux employer le terme de sûreté, ne serait-ce que parce qu’il figure dans la déclarations des droits de l’homme, la française, celle de 1789 : c’est l’un des premiers droits de l’homme que d’avoir le droit de vivre en sûreté. Et si on ne fait pas tout, tout pour que l’individu qui agresse les autres puisse vivre en sûreté, cela veut dire qu’on foule aux pieds, les droits de l’homme, la déclaration de 1789 et les principes d’une société libérale.
Il ne peut y avoir de société ouverte, de société libérale sans que en même temps, on ne se montre d’une extrême rigueur avec tout ceux qui prennent le droit de violer le droit des autres à la liberté, à la dignité et la propriété de leurs biens, etc. Il ne faut pas confondre libéralisme et laxisme. Si une société libérale devait être une société laxiste, je serais le premier à ne plus me déclarer libéral du tout.
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