Robert J. Bidinotto et les théories du crime aux Etats-Unis



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Robert J. Bidinotto et les théories du crime aux Etats-Unis : liberal-progressisme, conservatisme, libertarianisme et objectivisme. 

par Damien Theillier


La criminologie est une discipline qui s’est développée en Amérique du Nord, Etats-Unis et Canada, depuis les années 60.

En effet, à partir de 1962, l’Amérique connaît une véritable explosion de la criminalité. Les premières interprétations de ce phénomène sont néo-marxistes : la criminalité est engendrée par la pauvreté. Pourtant, depuis le milieu des années 90, les taux de criminalité aux Etats-Unis sont en chute libre, y compris avec la crise de 2008. Comment expliquer cette contradiction ?

Robert James Bidinotto est un ancien rédacteur au Reader’s Digest, il a été l’un des principaux animateurs du think-tank objectiviste Atlas Society, fondé par David Kelley.

Il s’est fait connaître à l’échelle nationale dans les médias lors de la campagne présidentielle de 1988, en provoquant une polémique qui a fait pencher l’opinion publique en faveur de George Bush.

Dans une enquête sur l’affaire du criminel récidiviste Willie Horton[1], il pointait du doigt la faillite du système judiciaire américain et toutes les réformes laxistes des années 60-70 qui avaient conduit à la mort de centaines d’innocents. L’article de Bidinotto fut repris et diffusé par le staff de campagne de Bush contre Dukakis, fervent partisan de ces réformes.

En 1994, Bidinotto a édité un livre co-écrit par une dizaine d’experts et de criminologues : Criminal Justice, The legal System vs. Individual Responsibility (Foundation For Economic Education)[2].

Ce livre est une réévaluation radicale de la pensée contemporaine sur la justice et la criminalité. A travers une analyse des causes de l’explosion de la criminalité dans les années 60, Bidinotto pointe l'abandon de la responsabilité individuelle comme principe sous-jacent du système judiciaire. Il montre comment la théorie libérale-progressiste du crime a cassé le système judiciaire américain, transformant les villes en véritables champs de bataille.

Bidinotto inscrit sa réflexion dans le cadre de trois grandes théorie contemporaines du crime :

1° La théorie libérale-progressiste
2° La théorie conservatrice
3° La théorie libertarienne

Nous verrons comment l’objectivisme randien peut fournir un éclairage original sur la valeur et les limites de ces 3 théories et les conclusions qu’il faut en tirer quant au crime et à la réforme du système pénal.

I] La théorie libérale-progressiste : « root cause theory » et réhabilitation

L’une des théories sociales les plus influentes, encore aujourd’hui, est l’idée que les causes profondes de la criminalité résident dans l’inégalité des revenus et dans les injustices sociales comme le racisme ou la discrimination. Et les criminels seraient donc d’abord des victimes.

Cette idée appelée « root cause theory » s’est développée dans les années 60 avec les sociologues Richard Cloward (Columbia University) et Lloyd Ohlin.

Selon eux, la criminalité, principalement juvénile, serait une réponse à la pauvreté et au racisme et donc une forme de protestation ou de critique sociale. La frustration engendrée par le capitalisme, la société de consommation, le chômage et les inégalités, conduiraient les jeunes défavorisés à pratiquer une redistribution sauvage, par la violence.

Un système judiciaire axé sur la punition est donc profondément injuste. De plus, selon cette théorie, l’usage de la force ne garantirait pas la sécurité des citoyens mais risquerait au contraire d’exacerber les tensions et d’accroître encore la possibilité d'une crise sociale généralisée.

Cette théorie libérale-progressiste a fourni une base intellectuelle à de nombreux programmes sociaux censés combattre la criminalité sous l’administration Kennedy, Johnson et Carter (Great Society, War on Poverty...). On a estimé que la criminalité serait mieux combattue au moyen de services sociaux et par la redistribution légale des richesses plutôt que par des arrestations et des incarcérations [3]. Même les forces de l’ordre en sont venues à adhérer à cette théorie des « causes profondes », se consacrant à la prévention plutôt qu’à la répression.

De son côté, le système judiciaire a été axé sur la resocialisation et la réinsertion des condamnés. En 1949 déjà, la Cour suprême américaine déclarait que le châtiment n’était plus l’objectif dominant de la loi pénale mais devait être remplacé par la réhabilitation des criminels et leur réintégration dans la société.

A partir des années 60, on a mis en place une politique de contrôle de la criminalité qui reposait sur le fait de donner une « seconde chance » aux mineurs délinquants, des peines de probation aux adultes, des libérations anticipées. La probabilité d’échapper à la prison a massivement augmenté dans les années 60 et 70.

Selon Robert Bidinotto, la théorie progressiste des « causes profondes » commet une erreur philosophique fondamentale en postulant un déterminisme social à la base de tous les comportements humains individuels. Le déterminisme social assimile l’homme à une boule de billard. Le comportement humain serait donc une réponse automatique à des forces extérieures d’ordre biologiques, psychologiques et sociales. L’erreur ici est de confondre l’influence avec la cause. Nous sommes soumis à toutes sortes d’influences. Mais une influence n’est pas une cause. Nous avons aussi des raisons d’agir.

Par ailleurs, cette théorie a été mise à mal par les faits. On n’a observé aucune association entre le taux de criminalité et la conjoncture économique. L’explosion de la criminalité qui a commencé au cours des années 50-60, n’a pas été affectée par la crise de 1973 ni part la récession qui s’en est suivi. Durant toute cette période les sommes allouées à la lutte contre la pauvreté n’ont jamais cessé d’augmenter, sans aucun effet sur la criminalité. Les taux de criminalité ont commencé à chuter au milieu des années 90, au cours d’une période marquée par un taux de croissance de plus de 4%. Dernièrement, avec la crise de 2008, le taux de criminalité n’a fait que poursuivre une chute libre entamée 15 ans plus tôt. Le chômage est de 12,3% en Californie mais les homicides on reculé de 25% à Los Angeles en 2009. C’est dans les régions les plus durement touchées par la crise du logement que la chute de la criminalité est la plus forte.

II] La théorie conservatrice du crime : théorie des choix rationnels et dissuasion

Pour les conservateurs, il y a bien une corrélation entre les conditions socio-économiques et la criminalité mais cette corrélation est interprétée de façon très différente de la théorie progressiste. Ce n’est pas la pauvreté qui engendre le crime, c’est l’opportunité d’un gain facile et sans risque. Le comportement criminel est une réponse rationnelle à des incitations et des opportunités. La criminalité baisse ou augmente en réponse à ses coûts attendus en termes de probabilité de punition.

Cette théorie du choix rationnel a d’abord été développée par des économistes : Gary Becker et Richard Posner[4]. Elle s’appuie sur l’hypothèse de la rationalité de l’individu. Un individu n’agit que s’il a de bonnes raisons d’agir. Ainsi, la perspective d’une punition risquée et plus coûteuse que le bénéfice attendu est une bonne raison pour un individu de ne pas commettre d’infractions à la loi.

Dans cette approche, la dissuasion devient le principal levier de la lutte contre la délinquance et la criminalité. On peut certes espérer du système carcéral qu’il rende les hommes meilleurs. Mais la peine est avant tout un mal qui tend à dissuader les criminels. A trop vouloir être indulgent et adoucir les peines, ou leurs conditions d'exécution, on peut finir par inciter les criminels à commettre leurs méfaits. Du fait de l'amenuisement de la réaction judiciaire, la peine peut paraître moins redoutable en regard d'un profit substantiel et immédiat tiré d'un délit ou d'un crime.

La théorie du choix rationnel ouvre une nouvelle perspective dans le traitement de la criminalité : si les comportements criminels sont affectés par l’existence d’une peine ou d’une récompense[5], il devient primordial de mettre en place des politiques publiques qui découragent le crime ou les comportements irresponsables.

En 1982, dans un article de l’Atlantic Monthly, « Broken Windows[6] », deux criminologues, James Q. Wilson et George Kelling, ont démontré qu’une réaction immédiate de la police à la petite délinquance (les fameuses « vitres cassées ») permettait d’enrayer l’engrenage des violences urbaines, encouragées par le laxisme des autorités. A New York, depuis 1994, Rudloph Giuliani a mis à l’épreuve la théorie de Wilson. Sous son mandant, quatre cent mille personnes ont ainsi été arrêtées par la police, même si la majorité d’entre elles ont été assez vite relâchées.

Les résultats ont été spectaculaires. Dans les cinq ans, les infractions globales ont diminué de 50 pour cent et les assassinats de 68 pour cent. Alors que la ville connaissait plus de 2600 meurtres par an dans les années 1990, ce nombre avait chuté à moins de 800 en 1997. Les quartiers ont vu une amélioration encore plus spectaculaire. Entre 1993 et 1997 la criminalité a chuté de 39 pour cent à Harlem, 42 pour cent dans l'est de New York, et 45 pour cent dans le Sud du Bronx.

Dans Losing Ground en 1984 Charles Murray[7], du Manhattan Institute, a exposé une série de faits accablants concernant les effets pervers de l’Etat Providence. L'Etat-providence construit aux Etats-Unis dans les années 1960 et 1970 a créé un système d’allocations qui incite les personnes à rester à la maison, au lieu de travailler pour améliorer leur propre sort.

Par exemple, en fournissant une allocation à toutes les mères célibataires, un nombre important de naissances hors-mariage ont été encouragées. En effet, trois possibilités s’offraient à une femme aux revenus modestes pour éviter la pauvreté : se former pour obtenir un travail mieux rémunéré, trouver un bon mari, ou se contenter de faire un enfant pour bénéficier de l’aide sociale. De même, en diminuant les punitions pour les criminels (considérés comme des victimes), on les a incités à développer leurs activités criminelles.

Finalement l’analyse économique du crime, développée par les conservateurs sous l’administration Reagan, aura certainement contribué à la mise en place de politiques publiques d’avantage axées sur la répression et sur la dissuasion. Avec l’augmentation des forces de polices, la généralisation des fichiers ADN et les nouvelles méthodes de la police scientifique, le crime a été fortement découragé, la probabilité de se faire prendre étant de plus en plus élevée.

Par ailleurs, à partir des années 1980, le système judiciaire a commencé à devenir plus répressif. Entre 1960 et 1980, la probabilité qu’un criminel aille en prison avait diminué de plus de moitié. Entre 1980 et 1997, ce risque avait doublé. La durée moyenne du temps passé en prison a également commencé à augmenter après 1980.

Tout ceci peut expliquer la chute vertigineuse des taux de criminalité constatée depuis le milieu des années 90.

III] La théorie libertarienne : l’Etat-bandit et la privatisation de la justice

Lysander Spooner au XIXe siècle et Murray Rothbard au XXe siècle ont développé une théorie de l’Etat-bandit. « L’Etat est une association secrète de voleurs et d’assassins dont la législation est une usurpation et un crime[8]. » Ou bien : « L’Etat substitue à la lutte pacifique pour le service mutuel, la lutte à mort d’une compétition darwiniste pour les privilèges politiques[9]. »

Avant la naissance de l’Etat moderne, il existait des systèmes de justice privée fondés sur des pratiques commerciales. En cas de litiges, des arbitrages étaient rendus par des tribunaux privés au terme d’une négociation entre les parties.

Or l'État s’est assuré le monopole de la justice, en absorbant ce qui était autrefois les systèmes de justice privés et en réprimant violemment toute concurrence émergente.

Les faux crimes
Si l’Etat est un bandit, il ne peut rendre la justice de façon équitable. Or précisément, la justice collectiviste étatique est une fausse justice qui invente de faux crimes :
- crimes sans victime (drogues, pornographie…)
- crimes contre la société (économie souterraine, évasion fiscale…)

De telles notions sont contradictoires dans les termes. Un crime implique toujours la violation des droits d’une victime. Se faire du mal à soi-même est peut-être immoral mais ne peut être illégal. De même, la société n’existe pas en dehors des individus qui la composent. Ce sont ces faux crimes, particulièrement la criminalisation des drogues, qui conduisent à l’explosion de la criminalité.

Critique de la théorie conservatrice
Selon les libertariens, la conception conservatrice de la justice est liberticide car elle est collectiviste.
Non seulement la dissuasion n’a pas prouvé son efficacité, mais elle conduit à justifier l’intervention maximale de l’Etat et une sévérité excessive à l’égard des coupables. Elle conduit à sacrifier les droits de l’individu au nom du tout-sécuritaire.

En effet, si la justification rationnelle de la punition réside dans ses effets sociaux (dissuader de futurs criminels de passer à l’acte), alors une punition disproportionnée pour les coupables est toujours légitime et même souhaitable. L’objectif de dissuasion, au nom de la sécurité collective devient liberticide. De plus, bien qu’elle combatte l’Etat-Providence, la théorie conservatrice conduit fatalement vers une forme de « big government » en justifiant la prohibition et le monopole de l’Etat en matière de police et de justice.

Rétribution versus dissuasion
Il y a deux types de justifications de la punition. La première est utilitariste ou conséquentialiste. Une action doit être jugée à ses conséquences. Ainsi la punition est justifiée par ses conséquences sociales désirables : dissuader les futurs criminels de passer à l’acte.
L’autre justification de la peine est déontologique, c’est la rétribution. Déontologie est un terme qui renvoie à l’éthique et qui signifie qu’une action humaine doit être jugée selon sa conformité (ou sa non-conformité) à certaines normes morales.

Le problème, selon les libertariens, c’est que l’approche utilitariste a tendance à se focaliser sur des objectifs politiques comme la réduction des taux de criminalité au détriment des victimes. Son objectif n’est pas de rendre la justice pour les victimes individuelles mais pour la sécurité collective. Alors que la réhabilitation se focalise uniquement sur le criminel et que la dissuasion se focalise sur la sécurité publique, seule la rétribution prend en compte le préjudice fait aux victimes.

Pour les libertariens, le meilleur système de justice possible est donc un système de justice privée.
Cette justice privée ne peut bien fonctionner que si elle est fondée :
1° sur la rétribution (toute faute avérée doit être sanctionnée par une punition équivalente)
2° sur la réparation des torts causés par les coupables à leurs victimes.

IV] La théorie objectiviste du crime

1° Les principes objectivistes
Bidinotto est un objectiviste, c’est-à-dire un disciple d’Ayn Rand. On pourrait résumer les principes politiques objectivistes à trois : individualisme, minarchisme et capitalisme.

1° L’individualisme moral ou rationnel c’est la défense du droit fondamental de chaque individu à vivre librement, selon son propre jugement.

Ce principe a deux conséquences :
 - Nul ne peut forcer quiconque à agir sans son consentement, c’est-à-dire que nul n’a le droit de prendre l’initiative de la coercition contre autrui ou contre sa propriété pour parvenir à ses objectifs.
- Nul ne peut échapper à sa propre responsabilité, c’est-à-dire que chacun doit supporter toutes les conséquences de ses choix dès lors qu’ils sont librement consentis.

2° L’Etat doit avoir une fonction strictement limitée de protection des droits contre l’agression.

Ce principe a trois conséquences :
- L’usage de la force est légitime si elle est exercée en réponse à une agression initiale
- L’Etat doit être doté des moyens de la force publique pour réprimer toute agression.
- Il doit agir dans le cadre de lois justes qui établissent clairement les droits et les devoirs de chacun.

3° Le capitalisme de laissez-faire est le seul système politico-économique compatible avec ces principes.

Partant de ces principes généraux, quelle sera la conception objectiviste du crime et du système judiciaire ?

2° Critique des théories du crime
 Selon Bidinotto, la théorie conservatrice du crime est juste mais elle est incomplète. Elle a raison contre la théorie libérale-progressiste sur deux points fondamentaux :
- Le criminel n’est pas une victime des inégalités sociales et de la pauvreté mais un individu rationnel qui fait des choix et qui doit assumer la responsabilité de ses choix
- Le but d’un système judiciaire n’est pas la réhabilitation mais bien la punition

Les explications progressistes du crime reposent donc sur une fausse prémisse : les facteurs du crime sont extérieurs au criminel lui-même (la pauvreté ou l’injustice).
Or la vraie question, explique Bidinotto, n’est pas de savoir : « quelles sont les causes du crime ? », elle n’est pas non plus de savoir si le criminel aurait pu agir autrement, mais plutôt : « qu’est-ce qui nous empêche de commettre des crimes ? »


Toujours selon Bidinotto, la criminalité a explosé dans les années 60 en raison d’une érosion systématique des contraintes externes et internes :

Les contraintes externes sont dissuasives : c’est la peur des conséquences négatives, la peur de la punition. Le criminel est un calculateur. Si le crime ne paie pas, si la probabilité de se faire prendre est plus forte que l’appât du gain, le criminel renonce à agir. La théorie conservatrice a bien mis en lumière cet aspect et Bidinotto en rend hommage à Wilson.

Mais la théorie conservatrice ne va pas assez loin dans sa réflexion sur les contraintes internes : selon Bidinotto, c’est avant tout le déclin de l’idée de responsabilité individuelle et la négation du droit de propriété qui sont à l’origine de la faillite du système pénal et de l’explosion de la criminalité.

Il estime que la théorie conservatrice partage avec la théorie progressiste une certaine forme de déterminisme. Elle met excessivement l’accent sur l’action des contraintes externes, les facteurs d’ordre économiques et biologiques, au détriment des facteurs internes, d’ordre philosophique et en particulier d’ordre moral.

Le déclin des contraintes externes n’est qu’une partie du problème. L’autre partie concerne l’érosion des contraintes internes. Les contraintes internes sont liées à la conscience de certaines normes morales et à une forme de répulsion à l’égard de tout ce qui est illégal et réprouvé socialement. Quand nous violons ces normes, nous nous sentons coupables et cela nous empêche de passer à l’acte. Or depuis 40 ans, on assiste à une érosion systématique de ce type de contrainte sur le comportement par l’introduction de fausses idées philosophiques. La dissuasion a été affaiblie, certes mais la conscience morale a surtout été pervertie.

La crise du système judiciaire est donc avant tout une crise intellectuelle, une crise des principes. Bidinotto parle de « contre-révolution rousseauiste contre le code moral de l’Occident ». Au cours des années 60, on a introduit de fausses idées philosophiques sur l’homme et la société permettant d’excuser les comportements déviants et criminels.

1° Les intellectuels ont éliminé la culpabilité en combattant systématiquement les valeurs et les normes sur lesquelles repose toute civilisation. Pour la plupart des philosophes, la raison est en faillite et une éthique rationnelle ne peut être formulée. Ce n’est pas la raison qui doit guider l’homme mais ses émotions, ses choix arbitraires. Tous ou presque s’accordent à dire que les valeurs sont relatives.

Dans les années 60, on a assisté à la naissance d’une véritable « Excuse-Making Industry » (expression forgée par Robert Bidinotto). La notion de responsabilité pénale a été attaquée par les sciences sociales qui ont fait du déterminisme scientifique une véritable religion laïque. Le rousseauisme a triomphé : l’homme est bon, ce sont les inégalités sociales (et le racisme) qui le dépravent.

Or chaque fois que la responsabilité morale de l’individu est oblitérée, la causalité est inversée c’est-à-dire qu’on se met à traiter les agresseurs comme des victimes et les victimes comme des agresseurs.

3° Conception objectiviste du système pénal

a) Le but d’une bonne politique pénale ne doit pas être seulement la dissuasion mais aussi et surtout la rétribution.
Sur ce point, Bidinotto donne raison aux libertariens contre les conservateurs.
Un système axé sur la dissuasion vise à réduire la dangerosité des criminels. Dans cette optique, la punition est subordonnée à ses conséquences positives ou négatives.
Au contraire, un système axé sur la rétribution vise à promouvoir certaines valeurs morales : on doit punir un criminel, non seulement pour le dissuader de recommencer, mais aussi et surtout parce qu’il le mérite. Quelques soient les conséquences sociales de la punition, le criminel mérite de payer pour sa faute, y compris dans le cas ou il ne serait plus considéré comme dangereux.

Cette approche permet de rendre à chacun le sens de sa dignité morale. La victime est reconnue dans son innocence, tandis que le criminel doit rendre des comptes et il est reconnu dans sa liberté de sujet rationnel, capable de choix responsables.
Un tel système est plus apte à restaurer la responsabilité individuelle et à promouvoir le respect des droits individuels. Dans cette perspective, Bidinotto défend la peine de mort, non parce qu’elle serait dissuasive (là-dessus les études n’ont jamais pu montrer ni qu’elle était dissuasive, ni qu’elle ne l’était pas) mais parce que c’est la seule punition proportionnée au crime prémédité.

Comme le souligne Alain Laurent[10], la rétribution « marque avec éclat que le respect de la personne d'autrui est un absolu ne souffrant pas la moindre transgression et incite les individus à intérioriser ce principe dans leur sens moral ». Elle confirme la valeur morale de la vie individuelle et du droit de propriété et établit de façon claire qu’un criminel doit payer pour son crime et subir une peine proportionnelle à son infraction.

b) Objectivisme versus libertarianisme

Dans la revue The Freeman de décembre 1994, Bidinotto a écrit un petit article intitulé « The real enemy of liberty » dans lequel il regrette le positionnement anarchisant de certains libertariens américains.

« Selon les sondages, la criminalité est une des principales préoccupations du public, mais curieusement le problème a été peu examiné par les tenants du libre marché. A lire les libertariens, on a l’impression que les problèmes de criminalité seraient créés artificiellement par l’intervention des réglementations étatiques et la criminalisation de la drogue. En l’absence de telles interventions, le crime disparaîtrait. »

Or, selon Binidotto, « les gens ne commettent pas de crimes à cause de lois stupides qui les forcent à les commettre ou à cause de facteurs environnementaux. La criminalité est la simple conséquence de valeurs choisies et, aujourd’hui, les vagues de crimes sont le résultat de décades de destruction des valeurs culturelles et morales fondamentales. »

« Pourquoi avons-nous si peu de libertariens qui s’intéressent au problème du crime ? » se demande Bidinotto. « Je pense que beaucoup d’entre eux maintiennent tacitement un double standard concernant la violation des droits individuels. Généralement, les partisans du libre marché pensent le gouvernement comme étant en soi l’ennemi des droits individuels et de la liberté. Bien sûr, un Etat illimité est certainement le pire ennemi des droits individuels (comme l’histoire sanglante du XXème siècle l’a prouvé), mais dans leur empressement à dénoncer les violations étatiques du droit, les libertariens en viennent à ignorer les maux mêmes que les Etats ont pour objet de combattre, à savoir les violations individuelles des droits privés ».

Et il ajoute : « Ainsi que nos Pères Fondateurs le savaient, l’Etat a un rôle légitime à jouer, c’est celui de répondre avec la force à toute initiation de la force ou de la coercition. Mais de nombreux partisans du laissez-faire, habitués à voir le gouvernement comme l’ennemi, n’ont pu admettre qu’il y avait place pour une vigoureuse intervention de l’Etat contre les violations privées des droits individuels. »

Annexe 1

Antoine Louis Claude, Comte Destutt de Tracy (1754 – 1836)

Destutt de Tracy fut un philosophe et l’un des fondateurs, dans les années 1790, du groupe républicain libéral classique connu sous le nom de groupe des Idéologues (Cabanis, Condorcet, Constant, Daunou, Say, Madame de Staël). Ses écrits ont particulièrement impressionné son ami Thomas Jefferson, qui en a traduit et publié deux d'entre eux en Amérique. Comme membre du Sénat, Tracy s'est opposé à Napoléon, et s'est prononcé contre la monarchie constitutionnelle ultérieure. Il a par ailleurs défendu le « laissez-faire » en économie. Destutt de Tracy forgea le terme idéologie, qu’il conçut comme la « science des idées » (Mémoire sur la faculté de penser). Ce terme désigne l'étude des idées, de leur caractère, de leur origine et de leurs lois, ainsi que leurs rapports avec les signes qui les expriment (c’est Marx qui jettera le discrédit sur ce terme). Il fut élu membre de l’Académie française en 1808 et de l’Académie des sciences morales et politiques en 1832. Sa fille épousa Georges Washington de La Fayette (le fils du premier président américain) en 1802.

QUELS SONT LES MOYENS DE FONDER LA MORALE CHEZ UN PEUPLE ?
Le premier pas à faire en morale est sans doute d'empêcher les grands crimes ; et le moyen le plus efficace est de les punir. L'important n'est pas que les peines soient très rigoureuses, mais qu'elles soient inévitables. Le plus utile principe de morale que l'on puisse graver dans la tête des êtres sensibles, c'est que tout crime est une cause certaine de souffrance pour celui qui le commet. Si l'organisation sociale était d'une perfection telle que cette maxime fût d'une vérité qui ne fait jamais d'exception, par cela seul les plus grands maux de l'humanité seraient anéantis. Les vrais soutiens de la société, les solides appuis de la morale sont donc les suppôts et les exécuteurs des lois. Ce sont ceux chargés d'arrêter les coupables, de les garder, de constater leurs délits, de prononcer la peine qui doit les suivre. Je me permettrai quelques réflexions sur chacun d'eux.
C'est pour la forme de la procédure que le législateur doit réserver toute sa sévérité. Elle doit sans doute donner toute facilité à la juste défense de l'accusé mais elle doit surtout ne laisser perdre aucun moyen de conviction. Et à ce propos, je dois rappeler une maxime qui s'applique plus ou moins à tout ce que je viens de dire et dont, suivant moi on a étrangement abusé. C'est celle-ci : il vaut mieux laisser échapper cent coupables que de condamner un innocent. Sans doute il n'y a pas de crime plus atroce que celui d'opprimer sciemment un innocent avec l'appareil de la justice et de tous les forfaits le plus abominable, et le plus capable d'en faire commettre un grand nombre d'autres, est l'assassinat juridique.
Dans ce sens, la maxime est de toute vérité, sans la moindre restriction. Sans doute encore c'est un malheur horrible qu'une condamnation injuste prononcée par erreur. L'humanité toute entière doit en gémir mais elle n'a pas à en redouter les conséquences pour la morale publique et privée. Au contraire, car une erreur reconnue préserve de dix autres et ne se fait pardonner que par une conduite irréprochable. Et si par une crainte exagérée de cette calamité affreuse assurément, mais toujours rare, parce que tous les intérêts se réunissent pour la prévenir ; si, dis-je, par cette crainte on va jusque soutenir qu'il faut que les formes soient tellement favorables à l'accusé que beaucoup de coupables puissent se sauver de peur qu'un innocent ne puisse succomber, je dis que par humanité on pose de tous les principes le plus cruel. Si l'on pense un moment avec moi à tous les crimes qu'engendre cette espérance d'impunité, et à toutes les victimes innocentes de ces crimes, on verra que l'humanité même conduit à un résultat diamétralement contraire.
On pourrait faire des volumes sur chacun des sujets que je viens de parcourir mais je ne veux qu'indiquer des vues. Si elles sont justes, quiconque en mettra quelques-unes à exécution aura contribué puissamment à fonder la saine morale dans sa patrie.
Tout est dans ce principe par où j'ai commencé, que ce que l'on peut faire de plus efficace pour parvenir à ce but est de rendre aussi inévitable que possible la punition des crimes. Passons à des objets d'une moindre importance.

Annexe 2

Robert J. Bidinotto, "Crime Justice. The legal system vs individual responsability."
Tables des matières :
  • Foreword, by John Walsh
  • Introduction to the Second Edition, by Robert James Bidinotto
  • Introduction to the First Edition, by Robert James Bidinotto
  • Part I -- Crime: Who's Responsible?
    1. Robert James Bidinotto, "Criminal Responsibility"
    2. Melvin D. Barger, "Crime: The Unsolved Problem"
    3. David Kelley, "Stalking the Criminal Mind"
    4. Stanton E. Samenow, "The Basic Myths About Criminals"
    5. David Walter, "Crime in the Welfare State"
  • Part II -- The Flight From Responsibility
    1. Robert James Bidinotto, "Subverting Justice"
    2. Ralph Adam Fine, "Plea Bargaining: An UNnecessary Evil"
    3. Caleb Nelson, "The Paradox of the Exclusionary Rule"
    4. Ralph Adam Fine, "The Urge to Confess"
    5. Lee Coleman, "The Insanity Defense"
    6. John J. DiIulio and Charles H. Logan, "Ten Deadly Myths About Crime and Punishment In the U. S."
  • Part III -- Restoring Responsibility
    1. Robert James Bidinotto, "Crime and Moral Retribution"
    2. Morgan O. Reynolds, "How to Reduce Crime"
    3. The Office of Policy Development, US Dept. of Justice, "The Case for More Incarceration"
    4. James Wootten, "Truth In Sentencing: Why States Should Make Violent Criminals Do Their Time"
    5. Mary Kate Cary, "How States Can Fight Violent Crime"
    6. Edward F. Leddy, "Community Supervision That Works"
    7. Robert James Bidinotto, "Restoring Responsibility"

NOTES

[1] Robert J. Bidinotto, “Getting Away with murder”, Reader's Digest (July 1988).
[2] Voir table des matières en annexe2.
[3] Cette théorie sociologique de la frustration comme cause du crime est vigoureusement défendue en France par des sociologues comme Loïc Wacquant ou Laurent Muchielli.
[4] Cf. Gary Becker (1968). "Crime and Punishment: An Economic Approach". The Journal of Political Economy 76 (http://www.nber.org/chapters/c3625.pdf). Cf. aussi : Gary S. Becker, The Economics of Life, McGraw-Hill, 1996. Voir en particulier l’article intitulé : Lutte contre le crime : l'approche économique. Article traduit par Hervé de Quengo : http://herve.dequengo.free.fr/Becker/Becker1.htm
[5] Par exemple, les coûts d’opportunité de la criminalité sont moins élevés pour les moins de 20 ans que pour les autres. Les jeunes sont donc plus enclins à commettre des crimes car leurs salaires sont plus faibles et leur taux de chômage est plus élevé.
[6] J.Q. Wilson et G. Kelling, « Broken Windows » (1982). Cf. aussi : James Q. Wilson, Thinking about Crime, (1975), J. Q. Wilson, R. Herrnstein, Crime and Human Nature (1985).
[7] Charles Murray, Losing Ground, American Social Policy 1950-1980 (1984)
[8] Lysander Spooner, Outrage à chefs d’Etats.
[9] Murray Rothbard, Ethique de la liberté.
[10] Alain Laurent, La philosophie libérale, Les Belles Lettres, 2002, p. 277. Dans ce chapitre, La rigueur pénale du libéralisme, Alain Laurent se réfère notamment à Kant et mentionne Robert J. Bidinotto.

Commentaires

Anonyme a dit…
Excellent article.

Je crois effectivement que l'idée d'une justice privée est choquante pour beaucoup d'entre nous, éduqués par le puissant ministère de l'Education Française. Mais en y regardant de plus prés, il devient indispensable de promouvoir une organisation de la justice par des entreprises privées, a) pour des motifs utilitaristes (attendre 3 ans pour un jugement est inacceptable), b) pour des motifs de conception de la justice basé sur les droit individuels (les agresseurs ne sont pas des victimes, et doivent subir une peine, et la victime doit pouvoir etre indemnisée).
Anonyme a dit…
Sur la justice privée :

On peut dire tout ce qu'on veut en théorie, mais en pratique, si on favorise la justice privée aujourd'hui, cela voudra dire trois choses :

1. Les tribunaux arbitraux privés pour régler des conflits commerciaux internationaux entre gigantesques multinationales. Ca existe déjà. Cela ne concerne pas le citoyen lambda et ses attentes en matière de justice.

2. Le même genre de justice privée, mais entre Etats. Ca existe déjà : c'est l'arbitrage international auquel la Suisse a accepté de se soumettre pour que la Libye consente à libérer l'un de ses citoyens qu'elle avait pris en otage. Là encore, cela ne concerne pas le citoyen lambda, et dans le cas précis en question, il s'agira probablement d'une mascarade de justice destinée à humilier la Suisse.

3. Les tribunaux islamiques privés en pays occidental, jugeant selon les lois de la charia, c'est à dire le Coran. Ca existe déjà en Grande-Bretagne, et les décisions de ces prétendus tribunaux peuvent être entérinées par la justice britannique, comme celles de n'importe quel arbitrage privé auquel les parties conviennent de se soumettre. Cela concerne directement le citoyen lambda et sa vie quotidienne, et c'est, bien évidemment, un danger mortel pour la liberté, la démocratie et notre civilisation.

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