Ayn Rand, ou le culte de l'individualisme raisonnable... et raisonné
Ayn Rand, ou le culte de l'individualisme raisonnable... et raisonné:
La Tribune
La romancière et philosophe américaine d'origine russe a développé une pensée de l'individualisme radical qui tente de justifier moralement le capitalisme. Ayn Rand est devenue une référence incontournable outre-Atlantique.
Vu de France, les personnages qui symbolisent l'esprit du capitalisme américain se nomment Henry Ford, Rockefeller ou, version moderne, Bill Gates ou Steve Jobs. Vu des États-Unis, ce serait plutôt Ayn Rand. Inconnue en France, à part quelques « aficionados » au nombre croissant, Ayn Rand n'est pas un entrepreneur dont la « success story » serait devenue une source d'inspiration. Elle a seulement écrit des romans devenus des best-sellers - des millions d'exemplaires ont été vendus dans des dizaines de langues - comme « The Fountainhead », « Atlas Shrugged » (lire encadré), mais aussi des essais aux titres explicites comme « la Vertu de l'égoïsme » et « le Capitalisme, cet idéal méconnu ». Ces ouvrages parus dans les années 1940 et 1950 ont marqué des générations d'Américains et symbolisé l'esprit d'entreprise. À l'exemple de Michael Shermer, président de la Société sceptique américaine, chroniqueur au « Scientific American », qui se souvient dans l'introduction de son best-seller « The Mind of Market » (« l'Esprit du marché ») de l'impression que lui a procurée la découverte d'« Atlas Shrugged » et d'Ayn Rand, dont il n'avait jamais entendu parler : « L'épaisseur du roman était tellement intimidante que je refusais de rejoindre le rang des étudiants qui s'enthousiasmaient depuis des mois, jusqu'à ce que la pression sociale me pousse à plonger dans l'ouvrage. » Et de poursuivre : « C'était un livre remarquable, et Rand m'a conduit à lire ensuite une vaste littérature sur les entreprises, les marchés et l'économie. »
Un sondage réalisé en 1991 auprès des Américains par la Bibliothèque du Congrès sur les livres qu'ils jugeaient les plus importants plaçait « Atlas Shrugged » à la deuxième place, derrière la Bible. L'ouvrage - qui compte plus de 1.000 pages et est paru en 1957 - est même venu s'installer dans la liste des meilleures ventes en 2009 dans le sillage de la crise financière en compagnie d'un autre « classique », « la Route de la servitude » de Friedrich Hayek. Et il compte parmi les livres de référence du mouvement du Tea Party, qui a modifié le paysage politique américain de ces dix dernières années.
D'où vient un tel succès qui ne se dément pas ? Ayn Rand aura beaucoup fait pour justifier, en le radicalisant, le « Laissez-faire » en matière d'économie au nom de l'impératif moral lié à la liberté de l'individu perçu comme fondement de la société, et renouant avec l'esprit des pères fondateurs de la Constitution américaine. Le capitalisme dans la version « randienne » n'est pas perçu comme intrinsèquement immoral, car il n'est pas fondé sur le cynisme et le pur pragmatisme où seul importe l'intérêt mais comme l'affirmation la plus haute de la création et de la liberté. Cette philosophie est d'ailleurs illustrée par les héros de ses romans qui sont animés par des valeurs et dont la lutte contre le pouvoir corrompu des politiques est un leitmotiv. En ce sens, le véritable héros randien est l'entrepreneur qui, par son travail, son imagination, crée une richesse qui profite à tous.
La défense de cet idéal est assurément à chercher dans sa biographie. Avant de devenir américaine, Ayn Rand s'appelait Alissa Rosenbaum. Née en 1905 en Russie, elle a vécu adolescente la révolution et la prise du pouvoir par les Bolcheviks. Ne supportant plus cette oppression découlant du chaos économique et de la répression politique, devenue viscéralement anticommuniste et anticollectiviste, elle réussit à quitter son pays en 1926, puis s'embarque au Havre pour rejoindre les États-Unis considérés comme la terre de la liberté.
Pour gagner sa vie, elle va devenir scénariste à Hollywood, qui lui apprendra à maîtriser tous les ingrédients de la culture populaire, avant de connaître le succès en tant que romancière. Elle rencontre aussi des personnalités libérales de premier ordre, comme l'économiste autrichien Ludwig von Mises, qui a fui le régime nazi, ou Alan Greenspan, le futur président de la Réserve fédérale, qui deviendra un de ses proches.
Autodidacte, elle va développer une philosophie fondée sur un individualisme éthique et politique sous la forme d'ouvrages plus théoriques pour synthétiser ses idées sous le concept « d'objectivisme », inspiré en large part de sa lecture personnelle d'Aristote, et qui repose en métaphysique, sur le principe de l'objectivité de la réalité ; en matière de connaissance, sur l'exercice de la raison ; en éthique, sur l'intérêt propre de l'individu ; et en politique, sur le capitalisme. Sa « passion de l'égoïsme rationnel », selon l'expression du philosophe Alain Laurent (*), la conduira à incarner ses idées dans un mouvement politique qui, par la suite, ne sera pas exempt de dérives sectaires.
Dès lors, et jusqu'à sa mort en 1982, elle devient une commentatrice de la vie politique et culturelle américaine à l'ironie mordante comme en témoignent ses interventions télévisées souvent controversées. Malgré cela, elle reste une référence de la culture américaine, comme le résume parfaitement Hillary Clinton : « Tout le monde a eu son moment Rand. »
(*) C'est le titre de l'excellente biographie que ce philosophe lui consacre (éditions Les Belles Lettres, 2011).
Robert Jules - 29/12/2011
La Tribune
La romancière et philosophe américaine d'origine russe a développé une pensée de l'individualisme radical qui tente de justifier moralement le capitalisme. Ayn Rand est devenue une référence incontournable outre-Atlantique.
Vu de France, les personnages qui symbolisent l'esprit du capitalisme américain se nomment Henry Ford, Rockefeller ou, version moderne, Bill Gates ou Steve Jobs. Vu des États-Unis, ce serait plutôt Ayn Rand. Inconnue en France, à part quelques « aficionados » au nombre croissant, Ayn Rand n'est pas un entrepreneur dont la « success story » serait devenue une source d'inspiration. Elle a seulement écrit des romans devenus des best-sellers - des millions d'exemplaires ont été vendus dans des dizaines de langues - comme « The Fountainhead », « Atlas Shrugged » (lire encadré), mais aussi des essais aux titres explicites comme « la Vertu de l'égoïsme » et « le Capitalisme, cet idéal méconnu ». Ces ouvrages parus dans les années 1940 et 1950 ont marqué des générations d'Américains et symbolisé l'esprit d'entreprise. À l'exemple de Michael Shermer, président de la Société sceptique américaine, chroniqueur au « Scientific American », qui se souvient dans l'introduction de son best-seller « The Mind of Market » (« l'Esprit du marché ») de l'impression que lui a procurée la découverte d'« Atlas Shrugged » et d'Ayn Rand, dont il n'avait jamais entendu parler : « L'épaisseur du roman était tellement intimidante que je refusais de rejoindre le rang des étudiants qui s'enthousiasmaient depuis des mois, jusqu'à ce que la pression sociale me pousse à plonger dans l'ouvrage. » Et de poursuivre : « C'était un livre remarquable, et Rand m'a conduit à lire ensuite une vaste littérature sur les entreprises, les marchés et l'économie. »
Un sondage réalisé en 1991 auprès des Américains par la Bibliothèque du Congrès sur les livres qu'ils jugeaient les plus importants plaçait « Atlas Shrugged » à la deuxième place, derrière la Bible. L'ouvrage - qui compte plus de 1.000 pages et est paru en 1957 - est même venu s'installer dans la liste des meilleures ventes en 2009 dans le sillage de la crise financière en compagnie d'un autre « classique », « la Route de la servitude » de Friedrich Hayek. Et il compte parmi les livres de référence du mouvement du Tea Party, qui a modifié le paysage politique américain de ces dix dernières années.
D'où vient un tel succès qui ne se dément pas ? Ayn Rand aura beaucoup fait pour justifier, en le radicalisant, le « Laissez-faire » en matière d'économie au nom de l'impératif moral lié à la liberté de l'individu perçu comme fondement de la société, et renouant avec l'esprit des pères fondateurs de la Constitution américaine. Le capitalisme dans la version « randienne » n'est pas perçu comme intrinsèquement immoral, car il n'est pas fondé sur le cynisme et le pur pragmatisme où seul importe l'intérêt mais comme l'affirmation la plus haute de la création et de la liberté. Cette philosophie est d'ailleurs illustrée par les héros de ses romans qui sont animés par des valeurs et dont la lutte contre le pouvoir corrompu des politiques est un leitmotiv. En ce sens, le véritable héros randien est l'entrepreneur qui, par son travail, son imagination, crée une richesse qui profite à tous.
La défense de cet idéal est assurément à chercher dans sa biographie. Avant de devenir américaine, Ayn Rand s'appelait Alissa Rosenbaum. Née en 1905 en Russie, elle a vécu adolescente la révolution et la prise du pouvoir par les Bolcheviks. Ne supportant plus cette oppression découlant du chaos économique et de la répression politique, devenue viscéralement anticommuniste et anticollectiviste, elle réussit à quitter son pays en 1926, puis s'embarque au Havre pour rejoindre les États-Unis considérés comme la terre de la liberté.
Pour gagner sa vie, elle va devenir scénariste à Hollywood, qui lui apprendra à maîtriser tous les ingrédients de la culture populaire, avant de connaître le succès en tant que romancière. Elle rencontre aussi des personnalités libérales de premier ordre, comme l'économiste autrichien Ludwig von Mises, qui a fui le régime nazi, ou Alan Greenspan, le futur président de la Réserve fédérale, qui deviendra un de ses proches.
Autodidacte, elle va développer une philosophie fondée sur un individualisme éthique et politique sous la forme d'ouvrages plus théoriques pour synthétiser ses idées sous le concept « d'objectivisme », inspiré en large part de sa lecture personnelle d'Aristote, et qui repose en métaphysique, sur le principe de l'objectivité de la réalité ; en matière de connaissance, sur l'exercice de la raison ; en éthique, sur l'intérêt propre de l'individu ; et en politique, sur le capitalisme. Sa « passion de l'égoïsme rationnel », selon l'expression du philosophe Alain Laurent (*), la conduira à incarner ses idées dans un mouvement politique qui, par la suite, ne sera pas exempt de dérives sectaires.
Dès lors, et jusqu'à sa mort en 1982, elle devient une commentatrice de la vie politique et culturelle américaine à l'ironie mordante comme en témoignent ses interventions télévisées souvent controversées. Malgré cela, elle reste une référence de la culture américaine, comme le résume parfaitement Hillary Clinton : « Tout le monde a eu son moment Rand. »
(*) C'est le titre de l'excellente biographie que ce philosophe lui consacre (éditions Les Belles Lettres, 2011).
Robert Jules - 29/12/2011
Commentaires
Article vraiment intéressent.
Je tenais a ajouter une petite citation de Milton Friedman :
« Le monde avance grâce à des individus qui poursuivent leur propre intérêt. Les grandes réalisations de la civilisation ne sont pas sorties des administrations étatiques. »
Si vous êtes intéresser par l'actualité des énergie renouvelables vue par un étudiant en DUT génie thermique et énergie je vous invite a visiter mon blog :
http://energiedurable.secondes.info