Bac philo 2012 : serions-nous plus libres sans État ?
Décidément, les sujets du bac de philosophie offrent
parfois de belles surprises. L’an dernier, nous avions en série ES : L'égalité
est-elle une menace pour la liberté ? Cette année en S, un sujet sur la liberté sans
l’État. Le corrigé que nous proposons ici n’est pas une thèse doctorale qui
prétendrait faire avancer la recherche fondamentale sur le sujet. Il s’agit de
pistes de réflexions, rédigées dans l’esprit du baccalauréat. L’agencement des
diverses parties dans une dissertation a nécessairement un caractère
artificiel. Aucun plan ne s’impose et aucun auteur n’est véritablement
incontournable. Il s’agit plutôt d’apporter un point de vue à la fois personnel
et argumenté sur une question classique. C’est un exercice académique qui reste
difficile à maîtriser pour les élèves, au terme d’une courte année de
découverte de la philosophie. Mais c’est aussi un exercice qui oblige à penser,
à penser rigoureusement et qui ne peut donner de bons résultats qu’à ce prix-là.
Introduction
L’État peut être défini comme
une instance séparée de la société civile, chargée d’administrer la société. Or si l’État semble nécessaire, c’est que la liberté des uns est menacée par
l’agression des autres. Mais le paradoxe est que si l’État exerce un pouvoir
intrusif, au nom même de la liberté, il devient lui-même liberticide. Si l’État
est fort, il nous écrase, s’il est faible, nous risquons de périr. L’État
est-il alors la solution ou le problème ? Serions-nous plus libres sans l’État ?
Nous présenterons
successivement trois grandes figures de l’État et leurs conséquences pour
la liberté. L’État social est d’abord envisagé comme le mieux à même de
remédier à la violence naturelle de l’homme. La suppression de l’État,
considéré comme un bandit, est envisagée dans une seconde partie. Enfin nous
montrerons que, si l’État est un mal nécessaire, la réduction de son emprise sur
les individus et l’autonomisation de la société est, à tout le moins, souhaitable.
1° Thèse : nous serions esclaves sans l’État
(l’État social)
L’homme est un être de
passions, animé de tendances contradictoires. Cependant il est nécessaire de
trouver des principes régulateurs de ces passions afin d’éviter les dérives
anarchiques et les violences qu’elles entraînent. L’institution du politique
par le biais d’un contrat juridique apparait comme la solution la plus
classique de ce problème.
Hobbes, à la suite de
Machiavel, est convaincu que « l'homme est un loup pour l'homme ». Il écrit :
« Aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tient en
respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, la guerre de chacun
contre chacun » (Léviathan, 1651, trad.
F. Tricaud, Éd. Sirey, 1971, p. 124). Logiquement, il imagine un État-Léviathan
capable de faire peur aux hommes, afin d’éviter le retour de la guerre civile,
qui caractérise l’état de nature. Le Léviathan est un homme ou une assemblée
d'hommes qui, par un contrat passé entre tous les membres de la société, est
entièrement souverain sur la société. Le contrat fonde ainsi un régime
autoritaire : le souverain domine la société, et il a pour charge de garantir
l'ordre, y compris par la peur. En faisant respecter l'ordre, il apporte la
sécurité et donc la possibilité d'entreprendre de réelles actions. Le Léviathan
est donc une entité autoritaire et qui tire sa légitimité du contrat passé
entre tous les hommes pour établir leur sécurité.
Chez Rousseau, le postulat
anthropologique est à l'exact opposé du précédent : dans l'état de nature,
l'homme est bon. L'homme est naturellement bon, et il est bon parce qu'il est
asocial. Dans l'état de nature, l'homme vit seul, libre et égal aux autres
puisqu’il est indépendant d’eux. Il ne rencontre que très rarement ses
semblables. Avec le passage à la société et la vie en commun, l'homme naturel a
été totalement perverti. Les deux maux de l’humanité sont apparus : la
servitude et l’inégalité. Dès lors, comment concevoir un état de la société qui
permettrait de retrouver la liberté et l’égalité ? Par quel moyen atteindre une
société où les hommes seraient, dans leur être social, comme dans l'état de nature
?
Continuant son raisonnement,
Rousseau pense qu'il faudrait une société où les hommes participent
équitablement au gouvernement, en vue du bien commun. Le but final de la
politique, qui n'a plus rien à voir avec l'impératif de sécurité de Hobbes,
serait l'égale participation à la vie publique des citoyens. Ainsi les hommes
seraient libres car autonomes. Ils n’obéiraient qu’à la volonté générale, c’est-à-dire
à eux-mêmes.
Sur le plan social, Rousseau
pense également que « tout est source de mal au-delà du nécessaire physique. La
nature ne nous donne que trop de besoins ; et c’est au moins une très haute
imprudence de les multiplier sans nécessité, et de mettre ainsi son âme dans
une plus grande dépendance ». Par conséquent, selon lui : « l’une des fonctions
les plus importantes du gouvernement est de prévenir l’extrême inégalité des
fortunes. » Les impôts devront être conçus de manière à construire une société
juste à travers l’éradication de la consommation superflue.
Transition
Au fond, Rousseau ne fait que
substituer le pouvoir absolu de la majorité ou du peuple, au pouvoir absolu du
Prince. Le modèle contractualiste absolutiste de Hobbes, a simplement été aménagé
par Rousseau. Le seul État légitime, est un État démocratique lequel le pouvoir
du peuple est absolu. Ce modèle s’est historiquement incarné, selon des
modalités diverses, aussi bien dans le jacobinisme républicain que dans le
socialisme. Dans les deux cas, si le peuple est le seul souverain légitime, il
est habilité à organiser la société et à régir les libertés individuelles, au
nom de la vertu ou bien au nom de l’égalité. Le problème est qu’alors, sous
prétexte de la libérer, l’État absorbe la société et ainsi la détruit. La société
n’est-elle pas libre qu’à condition de se débarrasser de l’État ? Telle
est la solution préconisée par les anarchistes.
2° Antithèse : c’est l’État qui nous rend
esclaves (l’État bandit)
A l’origine de tout État,
selon les anarchistes, il y a une usurpation de la souveraineté des individus
par une bande de brigands qui se font passer pour des bienfaiteurs de
l’humanité. L’État dispose d’un appareil idéologique capable de faire passer
son agression pour de la protection. L’État, c’est une organisation criminelle
qui a réussi en réprimant violemment toute concurrence émergente. Ainsi Lysander
Spooner au XIXe siècle écrit : « L’État est une association secrète de
voleurs et d’assassins dont la législation est une usurpation et un crime » (Outrage à chefs d’Etats). Le philosophe
et économiste américain Murray Rothbard au XXe siècle affirme que « L’État
substitue à la lutte pacifique pour le service mutuel, la lutte à mort d’une
compétition darwiniste pour les privilèges politiques » (Éthique de la liberté). On trouverait facilement des formules
équivalentes chez les européens Joseph Proudhon, Max Stirner ou Mikhail
Bakounine, les trois grands anarchistes du XIXe siècle. Mais développons l’argumentation
de Rothbard, le plus contemporain et sans doute du plus original de tous, grand
admirateur du Discours de la servitude
volontaire de La Boétie.
Les théoriciens de l’État social
expliquent que l'impôt est volontaire : c’est un contrat passé entre l'État et
le peuple. Dans son livre, Rothbard conteste cette idée d’un consentement à
l'impôt. L'impôt c'est le vol, car il n'est pas volontaire. En effet, écrit-il,
« il suffit, pour réfuter cette thèse, de se demander ce qui arriverait si
les hommes de l'État renonçaient à l'imposition et se contentaient de demander
des contributions volontaires. Y a-t-il quelqu'un qui pense vraiment que le
trésor public verrait toujours affluer des fonds comparables aux phénoménales
recettes de l'État actuel ? »
De même, avant la naissance
de l’État moderne, explique Rothbard, il existait des systèmes de justice
privée fondés sur des pratiques commerciales. En cas de litiges, des arbitrages
étaient rendus par des tribunaux privés au terme d’une négociation entre les
parties. Or l'État s’est assuré le monopole de la justice, en absorbant ce qui
était autrefois les systèmes de justice privés. Et pour masquer son immoralité,
l’État a inventé de faux crimes :
- les crimes sans victime
(drogues, jeux d’argent, pornographie…)
- les crimes contre la
société (marché noir, évasion fiscale…)
En effet, un crime implique
toujours la violation des droits d’une victime. Se faire du mal à soi-même est
peut-être immoral mais ne peut être illégal. De même, la société n’existe pas
en dehors des individus qui la composent, elle n’est donc pas un sujet de droit
et ne saurait être une victime. Donc de telles notions sont contradictoires
dans les termes car ce sont des crimes sans victime.
Toutefois, l’anarchisme n’est
pas un retour au désordre. La thèse anarchiste, c’est l’ordre sans l’État,
c’est-à-dire la liberté sans l’État. « La liberté est la mère et non la
fille de l’ordre », disait Proudhon. Tout d’abord la raison en est que c’est
l’État qui, en opprimant, est la source du désordre social. Par ailleurs
l’anarchisme n’est pas l’anomie. Toute société a besoin de règles. La question
est de savoir si ces règles doivent être imposées d’en haut par une autorité
supérieure arbitraire ou si elles peuvent se déduire naturellement d’un
principe éthique universel qui ne soit pas l’expression de privilèges ou de
rapports de force politiques.
Bien sûr, les anarchistes
répondront différemment, selon qu’ils sont collectivistes ou individualistes, communistes
ou capitalistes. A cette question Murray Rothbard, dans son Éthique de la liberté a répondu que l’on
pouvait déduire tout le système de règles du seul principe de non-agression. Le
principe de non-agression n’est en fait que le négatif des droits naturels inaliénables.
La seule chose qui puisse s’imposer à moi de façon absolue et inconditionnelle,
c’est la liberté d’autrui, expression de sa dignité. Cette liberté-là
m’interdit de faire usage de la force contre lui aussi longtemps qu’il ne
fait pas usage de la force contre moi.
Transition
En supprimant l’État, la
société se libère mais ne se débarrasse pas pour autant du problème de la
violence. En instaurant des agences de sécurité privées, les individus finissent
par recréer inévitablement un État minimal, sorte d’agence centrale chargée de
coordonner, au moindre coût, les actions de défense, de police et de justice. Finalement,
ce à quoi s’opposent catégoriquement les anarchistes, c’est moins à l’État en
tant que système de règles institutionnelles, qu’au gouvernement c’est-à-dire à
la politique, comme intervention permanente de la puissance publique dans les
choix particuliers des individus privés. Dès lors problème se repose : comment
concilier la nécessaire indépendance des citoyens vis-à-vis de la puissance
publique avec l’exigence de sûreté, elle-même nécessaire à la liberté ?
3° Synthèse : l’État et la société doivent se
limiter réciproquement pour garantir davantage de liberté (l’État arbitre)
La racine de la violence
n’est peut-être pas la méchanceté des hommes. Selon Adam Smith et les penseurs
de l’économie politique classique, c’est la rareté des biens qui provoque la
guerre, la spoliation et la plupart des conflits. Il existe alors un remède à
ce problème : la propriété, la division du travail, la concurrence et les
échanges, ce qu’on appelle le marché. Le marché peut réduire la
pénurie et subvenir aux besoins de chacun, mieux que n’importe quel système
politique. Adam Smith considère alors que ce qui est le mieux à même de fonder
la paix civile et donc la liberté, ce n’est pas la contrainte de la loi mais
l’échange :
• La relation humaine la plus originelle n’est pas la relation
de commandement et d’obéissance, mais la relation économique et marchande.
• De plus, la relation politique est par définition hiérarchique
et inégalitaire, la relation économique est au contraire égalitaire et libre.
• Enfin, dans l’une, la recherche de l’intérêt égoïste conduit à
la violence et à la guerre, tandis que dans l’autre elle contribue à l’ordre et
à la paix civile.
Dans cette perspective, la
société s’auto-institue librement. Elle n’a pas besoin de tutelle pour exister.
Toutefois Adam Smith admet que l’État puisse avoir un rôle auxiliaire à jouer :
la protection des droits individuels par la répression des fraudes, des abus et
des crimes, ainsi que la défense de la société contre un agresseur extérieur.
C’est ainsi que Locke attribue
à l’État la mission de « défendre la propriété » individuelle,
c’est-à-dire « la vie, la liberté et les biens » de chaque associé (Du gouvernement civil, § 87). Contrairement
à Hobbes, l’état de nature chez Locke n’est pas un état de guerre, c’est un
état de paix, de liberté et d’égalité, régi par la loi naturelle. Bien que la
loi naturelle nous interdise de nuire à autrui, l’existence de
« prédateurs », dit Locke, pose un problème. Si chacun est juge de sa
propre cause, les conflits risquent de se transformer en vendetta généralisée.
Il manque donc un arbitre impartial pour régler les conflits, c’est-à-dire des
juges indépendant et des lois écrites.
Précisons encore : la
politique ici n’est pas créatrice d’ordre social. L’ordre provient d’abord de
la société elle-même. En effet, dans la tradition de l’économie politique, le
marché est un ordre auto-organisé, qui permet à chacun de poursuivre son
intérêt tout en contribuant à rendre des services aux autres. Fondé sur la
réciprocité des intérêts et des besoins, l’échange n’est jamais un « jeu a
somme nulle » mais un « jeu a somme positive », mutuellement
bénéfique. Toutefois, si la politique ne crée pas l’ordre, elle a pour tâche de
le maintenir, au besoin par la menace et l’usage de la force. Si la violence
des uns est le principal obstacle à la liberté des autres, l’État sera toujours
un mal nécessaire. Mais ce mal, s’il ne peut être supprimé, doit néanmoins être
strictement encadré et contrôlé.
En effet l’État n’a pas à
intervenir dans les affaires privées des individus, sans quoi il trahirait sa
mission et deviendrait despotique. De plus, en entravant la loi du marché par
ses interventions, l’État favorise toujours les intérêts particuliers des groupes
les mieux organisés et contribue ainsi à la violence légale.
Le problème de la liberté
devient donc le problème de la limitation du pouvoir de l’État. Selon Benjamin
Constant, la liberté des Anciens consistait à s’affranchir de la vie privée
afin de participer à la vie politique (voire impérativement le lien avec le
travail, et la notion de travail). C’est une liberté qui a donc un contenu
concret : la participation collective à la citoyenneté. Être libre, c’est
pouvoir exercer ses droits de citoyens, débattre, voter, participer à la vie
politique de la Cité. C’est cette liberté là que Rousseau a voulu instaurer
avec son fameux Contrat Social. Mais
cette liberté collective se paie par le sacrifice de la liberté individuelle.
La liberté des modernes
consiste au contraire à ne pas être empêché de rechercher le bonheur comme on
l’entend. Il faut donc instituer une frontière entre la vie publique et la vie
privée et s’affranchir de la contrainte collective, pour être libre de
participer à la vie privée et s’y épanouir. Chaque fois que l’État sort de son
rôle et franchit cette ligne il devient insupportable.
Conclusion
« Que l’État se borne à être
juste, nous nous chargeons de notre bonheur » écrit Benjamin Constant. L’État arbitre serait donc un État qui
prendrait en compte les exigences de la sûreté mais qui ne prétendrait pas
faire le bonheur des hommes en leur imposant ses directives. Si l’État est un
mal, il reste néanmoins un mal nécessaire : limiter les prétentions arbitraires
d’un individu sur un autre individu. Mais comment limiter l’État lui-même ?
Tel est le défi à relever pour garantir la liberté. Selon Benjamin Constant et
Alexis de Tocqueville, c’est le rôle de la constitution, de la presse et des
associations civiles, que de limiter le pouvoir politique à ses fonctions
d’arbitre en vue de la protection des libertés. Encore faudrait-il que la
presse et les associations soient réellement indépendantes et que la constitution
ne soit pas manipulée au gré des opinions fluctuantes. Et l’auteur de la Démocratie en Amérique conclut ainsi
son livre : « Les nations de nos jours ne sauraient faire que dans leur sein
les conditions ne soient pas égales ; mais il dépend d’elles que l’égalité les
conduise à la servitude ou à la liberté, aux lumières ou à la barbarie, à la
prospérité ou aux misères. »
A consulter :
le cours de philosophie
de Damien Theillier (manuel complet d’initiation, livre+DVD)
L’État,
textes choisis et présentés par Atila Ozer, GF Flammarion, collection
Corpus. (Un excellent petit livre avec une introduction fort bien pensée et des
textes de Hayek, Buchanan, Popper, Nozick ou Rothbard).
A lire pour compléter, sur Nicomaque :
Sur les sujets du bac philo
2012, l’analyse
de 3 professeurs de philo
Commentaires
I.Sans état l homme est libre
-Aucune contrainte=liberté
-Anarchisme
-L’état peut être un danger(totalitaire, dictature) (Machiavel le rôle de l’état)
-l'État garantit l’intérêt des plus puissants(Marx)
II.Une Société sans état est impossible
-L homme guider par ces passions
-L homme vise son intérêt personnel(Pascal)
-La liberté individuel est une contrainte a la liberté des hommes
III.Un État au service des hommes
-Un état qui garantit la sécurité et la liberté
-l’État démocratique un exemple ( Spinoza)
-l’État démocratique dépend des institutions libérales et capitalistes (Grèce en Europe)
-Une organisation basée sur le tirage au sort.(Aristote) pour garantir la liberté
Pour l'introduction:
j'ai expliquer : le rôle de l’Etat dans une société
et la relation entre l’État et la liberté des hommes . J'ai mis comme problématique : Les hommes en société sont_ils plus libres sans état ou bien au contraire avec un État?