Jean-François Revel : les catastrophes ferroviaires et la mentalité anti-libérale
Jean-François Revel prend ici l'exemple concret des trains, en France et en Grande Bretagne, pour illustrer l'omniprésence de la mentalité
antilibérale, qui jaillit comme un cri du cœur en toute occasion, notamment lors d'une catastrophe ferroviaire (Voir aussi la vidéo tout en bas). Ainsi, après le déraillement du train en gare de Brétigny en juillet 2013, a-t-on entendu à la radio le porte-parole des usagers de la SNCF déclarer : "on a sacrifié la sécurité sur l'autel de la rentabilité" ! Comme si un monopole public ne sacrifiait pas, à l'inverse, la rentabilité sur l'autel de la sécurité... de ses employés (syndiqués) !
Cette mentalité persiste à l'encontre de toute l'expérience historique du vingtième siècle et même de la pratique actuelle de la quasi-totalité des pays. Comme l’écrit si joliment Revel : « L'antilibéral est un mage qui se proclame capable de marcher sur les flots mais qui prend grand soin de réclamer un bateau avant de prendre la mer. »
Cette mentalité persiste à l'encontre de toute l'expérience historique du vingtième siècle et même de la pratique actuelle de la quasi-totalité des pays. Comme l’écrit si joliment Revel : « L'antilibéral est un mage qui se proclame capable de marcher sur les flots mais qui prend grand soin de réclamer un bateau avant de prendre la mer. »
C’est un sujet qu’il a souvent abordé avec brio. Voir par exemple : La Connaissance inutile (1988) et Le Regain démocratique (1992). Mais c’est
le thème central de La grande parade
(2000).
Extrait de La grande parade. Essais sur la survie de l’utopie socialiste,
Plon, p. 250 à 252
« Ainsi, au matin du 5 octobre 1999, dans une collision entre
deux trains, à Paddington, dans la banlieue de Londres, environ trente
voyageurs sont tués et plusieurs centaines blessés. Aussitôt bruissent en
France sur toutes les ondes, toute la journée, les mêmes commentaires : depuis
la privatisation des chemins de fer britanniques, les nouvelles compagnies
propriétaires ou concessionnaires, mues par la recherche du profit, ont
économisé sur les dépenses consacrées à la sécurité, notamment dans les
infrastructures et la signalisation.
Conclusion qui va de soi : les victimes de l'accident ont
été assassinées par le libéralisme. Si c'est vrai, alors les cent vingt-deux
personnes tuées dans l'accident ferroviaire de Harrow en 1952 furent
assassinées par le socialisme, puisque les British Railways étaient alors nationalisés.
En France, en pleine gare de Lyon, le 27 juin 1988, un train percute un convoi
arrêté : cinquante-six tués et trente-deux blessés, victimes évidentes, par conséquent,
de la nationalisation des chemins de fer français en 1937, donc assassinées par
le Front populaire. Le 16 juin 1972, la voûte du tunnel de Vierzy, dans
l'Aisne, s'effondre sur deux trains : cent huit morts. Là non plus, l'entretien
des structures ne paraît pas avoir été d'une perfection éblouissante, tout
étatisée que fût la compagnie qui en était chargée.
Après quelques heures
d'enquête à Paddington, il s'avéra que le conducteur de l'un des trains avait
négligé deux feux jaunes qui lui enjoignaient de ralentir et grillé un feu
rouge qui lui enjoignait de s'arrêter. L'erreur humaine, semble-t-il, et non
l'appât du gain, expliquait le drame.
Que nenni ! rétorquèrent aussitôt les antilibéraux, car le
train fautif n'était pas équipé d'un système de freinage automatique se
déclenchant dès qu'un conducteur passe par inadvertance un signal rouge. Sans
doute, mais dans l'accident de la gare de Lyon, ce système, s'il existait, ne
semble pas avoir beaucoup servi non plus pour pallier l'erreur du conducteur
français.
Pas davantage le 2 avril 1990 en gare d'Austerlitz à Paris, lorsqu'un
train défonça un butoir, traversa le quai et s'engouffra dans la buvette.
S'agissant d'infrastructures, la vétusté des passages à niveau français, mal
signalés et pourvus de barrières fragiles ne s'abaissant qu'à la dernière
seconde, cause chaque année entre cinquante et cent morts, et plus souvent
autour de quatre-vingts, d'ailleurs, que de cinquante. L'infaillibilité du «
service public à la française », en l'occurrence, ne saute pas absolument aux
yeux. Ce sont là des faits et des comparaisons qui, naturellement, ne vinrent
même pas à l'esprit des antilibéraux.
Ajoutons à ces quelques rappels que les chemins de fer
britanniques, même du temps où ils appartenaient à l'État, étaient réputés dans
toute l'Europe pour leur médiocre fonctionnement.
Enfin, leur privatisation ne s'est achevée qu'en 1997 ! Comment
la déficience des infrastructures et du matériel roulant se serait-elle
produite de façon aussi soudaine et rapide en moins de deux ans ? En réalité,
British Railways a légué aux compagnies privées un réseau et des machines
profondément dégradés, qui mettaient en péril la sécurité depuis plusieurs décennies.
La mise en accusation du libéralisme dans cette tragédie relève plus de l'idée
fixe que du raisonnement.
Que l'on me comprenne bien. Je l'ai souvent écrit
dans ces pages : il ne faut pas considérer le libéralisme comme l'envers du
socialisme, c'est-à-dire comme une recette mirobolante qui garantirait des
solutions parfaites, quoique par des moyens opposés à ceux des socialistes. Une
société privée est très capable de faire courir des dangers à ses clients par
recherche du profit. C'est à l'État de l'en empêcher, et cette vigilance fait
partie de son véritable rôle, que précisément, d'ailleurs, le plus souvent il
ne joue pas. Mais la négligence, l'incurie, l'incompétence ou la corruption ne
font pas courir de moindres risques aux usagers des transports nationalisés.
Il faut pousser l'obsession antilibérale jusqu'à
l'aveuglement complet pour prétendre ou sous-entendre qu'il n'y aurait jamais
eu d'accident que dans les transports privés... Les trente morts dus à la
collision entre deux trains de la Compagnie nationale norvégienne, le 4 janvier
2000, furent-ils victimes du libéralisme ? »
Revel vs BHL - 1/3 par erwan075
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