Vaclav Klaus et Frédéric Bastiat



Fait remarquable, dans la banale monotonie du Parlement Européen de Bruxelles, le président tchèque Vaclav Klaus s'est référé, dans un discours jeudi 19 février, au penseur français du XIXe siècle Frédéric Bastiat :

"Beaucoup d'entre vous connaissent certainement le nom de l'économiste français Frédéric Bastiat et sa célèbre Pétition des marchands de chandelles, qui est devenue un texte connu et aujourd'hui déjà classique dans les manuels démontrant l'absurdité de l'ingérence politique dans l'économie."

Hélàs, il est à craindre que beaucoup de français ne connaissent ni la pensée, ni même le nom de Bastiat. Député des Landes, économiste brillant, philosophe et moraliste, il a illuminé de sa plume toute l'école d'économie française du XIXe siècle, allant jusqu'à influencer fortement un Joseph Proudhon ou un Léon XIII dans leurs écrits. (Voir la page Catallaxia.net)

Mais qu'est-ce que cette histoire de chandelles ? C'est un pamphlet plein d'ironie écrit en 1845 pour dénoncer le protectionnisme. Il fut publié dans les Sophismes économiques, chapitre 7. Bastiat y raconte les plaintes des fabricants de chandelles qui subissent la concurrence injuste et intolérable d'un rival étranger : le soleil !
Ceux-ci demandent alors à l'Etat de faire une loi "qui ordonne la fermeture de toutes fenêtres, lucarnes, abat-jour, contre-vents, volets, rideaux, vasistas, œils-de-bœuf, stores, en un mot, de toutes ouvertures, trous, fentes et fissures par lesquelles la lumière du soleil a coutume de pénétrer dans les maisons, au préjudice des belles industries dont nous nous flattons d'avoir doté le pays, qui ne saurait sans ingratitude nous abandonner aujourd'hui à une lutte si inégale."

Les marchands de chandelles, comme tous les protectionnistes, sont des partisans de l'intervention de l'État dans l'économie. L'Etat, en accédant à leur demande, se retrouve alors l'otage de groupes d'intérêts particuliers réclamant toujours plus de privilèges et de droits. La loi devient l'instrument de toutes les cupidités, au lieu d'en être le frein. C'est ce qui faisait dire à Bastiat que l’Etat est la « grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde ».
De plus, au final, c'est le consommateur qui est perdant. Le consommateur a tout à gagner au libre-échange et à la concurrence. Il paie les produits moins cher et il bénéficie de services de meilleure qualité.

Conclusion, pour Bastiat, à la suite de ce que disait déjà Benjamin Constant, l'Etat doit recentrer sa mission sur ses fonctions régaliennes :
« L'action gouvernementale est essentiellement bornée à faire régner l'ordre, la sécurité et la justice. En dehors de cette limite, elle est usurpatrice de la conscience, de l'intelligence, du travail, en un mot de la liberté humaine. »





Alain Madelin, dans un article des Echos (26 mars 2001) écrivait cet excellent résumé :

"Fondamentalement, Bastiat nous rappelle que la pensée libérale, avant d'être une pensée économique, est aussi et surtout une pensée philosophique, juridique et politique de la libération de l'homme. Le libéralisme est une approche des relations humaines et politiques fondée sur la priorité de l'ordre juridique. C'est l'ordre juridique d'une société d'hommes libres, citoyens d'un Etat soumis au droit - ce qu'on appelle l'Etat de droit - qui est la source de la croissance, de la prospérité économique et de la promotion sociale."
A télécharger : un recueil de textes de Bastiat, édité par l'IEM
(avec une excellente préface)

Extrait du discours du président tchèque, Vaclav Klaus au Parlement Européen, Bruxelles, le 19 février 2009


Je crains que les tentatives visant à accélérer, à approfondir l'intégration et à transférer davantages de décisions touchant aux conditions de vie des citoyens des États membres puissent menacer par leurs conséquences tous les acquis positifs obtenus en Europe durant les cinquante dernières années. Ainsi, ne sous-estimons pas les craintes de citoyens de maints États membres que leurs affaires soient décidées dans un autre lieu et sans eux et que leur possibilité d'influencer ces processus décisionnels ne soit que très restreinte. Jusqu'à présent, l'Union européenne est redevable de son succès, entre autres, au fait que l'opinion et la voix de chaque État membre ont eu la même importance lors du vote et ont été entendus. Ne permettons pas la naissance d'une situation où les citoyens des États membres se résigneraient à l'idée que le projet de l'Union européenne ne soit plus leur projet, qu'il se développe de façon différente à leurs souhaits et qu'ils ne soient obligés que de se soumettre à celui-ci. Nous pourrions nous retrouver très facilement et très rapidement aux temps dont nous avons l'habitude de dire qu'ils appartiennent à un passé lointain.

Ce fait est étroitement lié à la question de la prospérité. Il faut dire sincèrement que le système économique actuel de l’UE est celui de l'oppression du marché et du renforcement continu de la gestion centrale de l'économie. Bien que l'histoire nous ait prouvé plus que suffisamment que ce n'est pas la bonne direction à prendre, nous la reprenons de nouveau. Le taux limitant la spontanéité des processus de marché et celui de la réglementation politique ne cessent de croître. C'est aussi l'interprétation erronée des causes de la crise financière et économique qui contribue à ce développement, dans les derniers mois, comme si la crise était due au marché, tandis que sa cause véritable consiste justement dans le contraire – elle a été causée par la manipulation politique du marché. Encore une fois, il faut rappeler l'expérience historique de notre partie de l'Europe et la leçon que nous en avons tirée.

Beaucoup d'entre vous connaissent certainement le nom de l'économiste français Frédéric Bastiat et sa célèbre Pétition des marchands de chandelles, qui est devenue un texte connu et aujourd'hui déjà classique dans les manuels démontrant l'absurdité de l'ingérence politique dans l'économie. Le 14 novembre 2008, la Commission européenne a exaucé la pétition réelle et non fictive des marchands de chandelles en grevant les chandelles importées de Chine de droits de douane de 66%. Je ne croyais pas qu'un texte littéraire écrit il y a 160 ans, puisse devenir une réalité, mais cela est arrivé. La conséquence inévitable de la prise de telles mesures est le retard et le ralentissement économique de l'Europe, voire le freinage de sa croissance économique. La solution ne consiste que dans la libéralisation et la dérégulation de l'économie européenne.

Je dis tout cela en assumant ma responsabilité de l'avenir démocratique et prospérant de l'Europe. Je m'efforce de vous rappeler les principes fondamentaux sur lesquels la civilisation européenne a été construite pendant des siècles et millénaires. Des principes dont la validité est intemporelle et universelle et qui, en conséquence, devraient valoir aussi dans l'Union européenne actuelle. Je suis sûr que les citoyens des États membres souhaitent la liberté, la démocratie et la prospérité économique.
A l'heure actuelle, le fait le plus important est manifestement l'exigence que la discussion libre sur ces affaires ne soit pas considérée comme une attaque contre l´idée-même de l'intégration européenne. Nous avons toujours cru que la démocratie authentique, qui nous a été refusée pendant quarante ans, est justement basée sur le droit de débattre ouvertement de ces questions graves, d'être entendu et de défendre la possibilité qu'a chacun de présenter son avis même s'il est différent du politiquement correct – et cela, même quand nous sommes en désaccord avec lui. Nous qui avons éprouvé l'expérience involontaire pendant la plus grande partie de nos vies que l'échange libre des idées et des opinions est une condition essentielle à la démocratie authentique, nous croyons que cette condition sera observée et respectée même dans le futur. Elle constitue l'occasion et la seule methode de rendre l'Union européenne plus libre, plus démocratique et plus prospère.

Václav Klaus, Parlement Européen, Bruxelles, le 19 février 2009


Commentaires

Anonyme a dit…
Bravo pour votre blog! Fort intéressant!
Anonyme a dit…
Félicitation pour votre blog !
A quand un article sur Walter Block ?
Damien Theillier a dit…
Merci à vous. Il faudra que je lise un peu Walter Block, je n'ai pas encore eu cette occasion. Mais c'est un économiste de l'école autrichienne qui retient toute mon attention.
Anonyme a dit…
Connaissant déjà Bastiat et l'appréciant énormément, c'est un plaisir de voir un si bel article sur lui.
Dommage cependant qu'il soit si peu connu en France et si réputé à l'étranger, comme vous le soulignez.

A quand un homme politique français qui "osera" déclarer s'inspirer de Bastiat, comme un Reagan, une Thatcher ou un Klaus ?

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