Ayn Rand et l'Etat minimal

Dans le cadre de son séminaire de philosophie : "Chemins de traverse du libéralisme", Alain Laurent interviendra le 11 février à Paris sur l'actualité d'Ayn Rand. (Il est encore possible de s'inscrire, entrée libre mais places limitées, merci de m'envoyer  un mail : philo@nicomaque.com)

Ayn Rand est un véritable phénomène de société aux Etats-Unis. Il suffit pour s'en rendre compte, d'aller faire un tour sur Youtube ou sur Facebook et de taper son nom. Son roman Atlas Shrugged est l'un des plus vendus après Autant en emporte le vent.

Pour se familiariser avec cette philosophe américaine, je me propose de la présenter à travers quelques extraits d'ouvrages en français sur elle (chose rare) ou quelques traductions de passages de son œuvre.

Pour commencer, une courte bio :

Née en Russie en 1902, dans une famille juive aisée sous le nom de Alice Rosenbaum, elle fuit l'URSS en 1926 et s'installe aux États-Unis. Elle gardera toujours une haine farouche pour l'étatisme et le communisme.
Elle se rend à Hollywood et travaille sur des scénarios. Elle fait ensuite connaissance avec le monde de l'édition et publie en 1936, We the living (Nous les vivants), puis, en 1943, The Fountainhead (La Source vive), suivi, en 1957, de Atlas Shrugged, roman qui connaîtra un vif succès.
Ayn Rand donne une série de conférences au cours desquelles elle va préciser ses positions philosophiques individualistes contre le collectivisme, le social-étatisme et l'altruisme sacrificiel.
Elle publie également une série d'articles dans The Objectivist Newsletter dont le premier et le plus important date de 1964 : The Virtue of Selfishness (La Vertu d'égoïsme). Atteinte d'un cancer au poumon, Ayn Rand meurt le 6 mars 1982. (Sources : Gisèle Souchon, Les grands courants de l’individualisme, Armand Colin, 1998, p. 38)

Mal connue en France, Ayn Rand est souvent présentée à tort comme une anarcho-capitaliste. Si elle défend un capitalisme libre, fondé sur un idéal moral, elle n'en demeure pas moins attachée à l'Etat comme protection des droits individuels, droit à la vie, à la propriété et à la liberté de rechercher le bonheur, contre toute forme de violence. Mais l’Etat et le gouvernement ne sont que des moyens, pour l'individu, d'atteindre sa propre fin rationnelle. C'est pourquoi l'Etat n'est qu'une simple agence rétribuée, chargée de protéger les individus en s'ingérant le moins possible dans la vie économique.

Voici un passage du livre d'Alain Laurent : Les grands courants du libéralisme, Armand Colin :
LA MORALITÉ DU CAPITALISME : AYN RAND

Tout en argumentant avec une force inégalée en faveur de la réhabilitation morale d'un plein capitalisme de laissez-faire, l'écrivain et philosophe Ayn Rand (1905-1982) — incontournable aux États- Unis mais dont la France ignore l'audience mondiale — a soutenu la thèse classiquement libérale d'un nécessaire gouvernement limité aux seules fonctions de protection des droits individuels. Tirée à des millions d'exemplaires, toute son oeuvre a été consacrée à ces plaidoyers conjoints, qu'elle soit littéraire avec les best-sellers Nous les vivants (1936/1996, Éd. Rive droite), La Source vive (1943/1997, Plon) et Atlas Shrugged (1957) — ou philosophico-politique avec La Vertu d'égoïsme (1964/1993, Les Belles Lettres) et Capitalism, the Unknown Ideal (1967). 

A. L'éthique objectiviste, de l’égoïsme rationnel
Considérant que par nature l'être humain ne peut survivre que grâce au libre usage de sa capacité rationnelle à maîtriser le réel en le comprenant et l'utilisant, l'éthique « objectiviste » prônée par A. Rand pose « la vie de l'homme comme le fondement de toute valeur, et sa propre vie comme le but éthique de chaque individu ».
De ces axiomes découle un ensemble de principes à la fois existentiels et moraux qui commandent la nature des relations sociales (exposés en particulier dans La Vertu d'égoïsme):

« L'homme doit vivre pour son propre intérêt, ne sacrifiant ni lui- même aux autres, ni les autres à lui-même. Vivre pour son propre intérêt signifie que l'accomplissement de son propre bonheur est le plus haut but moral de l'homme. »

Chaque individu est une fin en lui-même et ne peut donc devenir un moyen pour les fins ou le bien-être d'un autre — du moins sans son consentement volontaire : il ne peut être socialement ou politiquement instrumentalisé. Le devoir de tout homme ou groupe ou institution est donc de s'abstenir de violer les droits d'un individu — sauf à sombrer dans le « cannibalisme moral » ou l'« altruisme tribal » forcé.

D'où la définition randienne de la « vertu d'égoïsme rationnel » : le primat moral de la recherche de l'intégrité, c'est-à-dire de l'intérêt personnel (self-interest) dans l'accomplissement et l'« estime de soi » et au sein de relations non sacrificielles avec les autres — définition certes inhabituelle de l'égoïsme mais d'inspiration tout aristotélicienne (L'Éthique à Nicomaque, livre IX).

B. Le capitalisme est seul à servir les droits individuels
Si de tels principes éthiques sont appliqués dans la société, il ne peut qu'y avoir harmonie naturelle des intérêts
«Les intérêts rationnels des hommes ne se contredisent pas (...) il ne peut y avoir de conflits d'intérêts entre des hommes qui ne désirent pas ce qu'ils ne méritent pas, qui ne font ni n'acceptent de sacrifices et qui traitent les uns avec les autres sur la base d'un échange librement consenti, donnant valeur pour valeur.»

La société libre, bienveillante, pacifique et prospère correspondant à ces prémisses ne peut se réaliser que dans le cadre du «capitalisme de laissez-faire », fondé sur la séparation de l'État et de l'économie, seul régime selon A. Rand à être « implicitement basé sur une théorie objective des valeurs ».
Ce n'est pas qu'il permette la meilleure allocation possible des ressources ou serve le mieux le soi-disant « bien commun » mais c'est qu'il est seul en accord avec la nature rationnelle de l'homme.

C. I.a seule fonction du gouvernement protéger les droits individuels
Loin d'être « anarcho-capitaliste », A. Rand juge qu'à moins de prendre le risque du règne de l'arbitraire, du chaos et de la loi du plus violent, cette société de libre-échange exige la présence d'un État minimal

« Le seul but moral qui convienne à un gouvernement est la protection des droits de l'homme. Cela veut dire que le gouvernement doit le protéger de la violence physique, protéger son droit à la vie, à la propriété et à la poursuite de son propre bonheur. Sans droits de propriété, aucun autre droit n'est possible. »

L'État est légitime détenteur de l'emploi de la force pour réprimer la violation des droits car seul à pouvoir être placé « sous un contrôle objectif », c'est-à-dire de lois objectivement définies. Mais il n'est pas le dirigeant des citoyens : seulement leur serviteur et fournisseur de services, volontairement rétribués.

Commentaires

Pascal Duval a dit…
Merci de remettre un peu d'ordre dans l'appropriation de cette idée de libéralisme.
Il est urgent en effet quitte à recourir à la pensée américaine (notamment autour de John Rawls) de se faire l'écho de la critique justement américaine de cette définition du libéralisme qui irait alors (la palette est large) de Nozick à Amartya Sen en passant (auteur auquel je m'attache) par Stanley Cavell.

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