Première séance du séminaire d'Alain Laurent






Ce 14 janvier, nous étions une vingtaine autour d'Alain Laurent pour la première séance de son séminaire consacré aux "Chemins de traverse du libéralisme."

Ecouter les 26 premières minutes

Pour cette séance introductive, il s’agissait de faire un bref historique comparé entre la France et la Grande-Bretagne sur l’apparition et l’évolution du sens des mots libéral et libéralisme. Résumé des propos d’Alain Laurent, sans la discussion qui a suivi. (Merci à Axelle pour ses notes et son travail de transcription).

1/ En France
Au départ, au Moyen-Age, le terme "libéral" signifie simplement « large d’esprit, généreux… » Il ne s’agit aucunement d’un mot désignant une réalité économique. Plutôt une attitude générale, une façon d’être (cf. la vertu antique de libéralité).
Au 17è et 18ème siècle, "libéral" n’est pris que dans ce sens vague et large (Chez Descartes, Boisguilbert, la Fontaine : la nature est libérale c’est à dire prodigue, généreuse.)
Dans le courant du 18è siècle (vers 1750), certains auteurs commencent à donner au mot libéral le sens d’une forme de tolérance (d’Argenson, par exemple). Ces occurrences du terme libéral dans un sens politique se multiplient.
Par contre on ne trouve pas ces occurrences chez les Physiocrates français ni chez Turgot.
En Grande-Bretagne, Adam Smith lui donne un sens économique (1776). Mais ce cas d’Adam Smith reste parfaitement unique et singulier. Ni Constant, ni Tocqueville (à part deux exceptions) ni Bastiat n’emploient ce terme pour définir leur propre doctrine.

Au 19è siècle, en France, le sens du mot libéral demeure exclusivement politique.
Il apparaît vers 1820, simultanément en France et en Grande-Bretagne. Il est d’abord employé comme adjectif puis comme substantif (« les libéraux »).  La pensée libérale commence à prendre consistance.

En fait, ce sont les adversaires du libéralisme qui vont le plus l’utiliser, en France, c’est cela qu’il faut noter. (Bonald, Lamennais, Saint Simon, Leroux). On est toujours nommés par ses ennemis et cela va se révéler exact en France.
Saint Simon, en 1823, dans son « Catéchisme des industriels » explique que le terme de libéralisme désigne une réalité trop vague, basée sur l’esprit de libre-examen de chacun et donc dangereuse car pas assez positive.
Lamennais suit aussi cette explication dans « Des progrès de la révolution et de la guerre à propos de l’Eglise » : le libéralisme, entendu au sens de libre-examen, peut entraîner la dissolution de la religion et de toute société, avec cette idée que chacun peut penser et faire ce qu’il veut.
= toutes ces mouvances s’en prennent au libéralisme.

2/ En Grande-Bretagne
 Au même moment, le paysage libéral est différent. Tout le monde est d’accord sur le sens du terme libéralisme. Il y a, contrairement à la France, une force organisée, un Parti Libéral en Grande Bretagne à partir de 1839. Ce Parti prend le pouvoir en 1859. Mais alors que les libéraux s’installent aux commandes, le sens du mot libéral change : il devient l’équivalent de l’interventionnisme étatique. Libéral, à la fin du 19è siècle signifie intervention forte de l’état avec souci de planification. Une sorte de « socialisme light ». C’est dans le pays où le libéralisme est né et a pris son essor que va changer le contenu du terme. Un exemple flagrant : Keynes, en 1925 répond à sa question « Suis-je libéral » par un oui car il veut en finir avec le Laissez-faire, ce qui le paradoxe absolu avec le sens premier de libéralisme dont toute la structure s’appuie justement sur le « Laissez-faire ».

3/ Le détournement du sens libéral s’étend aux Etats-Unis
 Le monde américain est tellement libéral dans ses fibres que personne ne sent utile d’évoquer, de définir les termes : résultat, le contenu lui échappe de façon insidieuse, sans que personne ne réalise réellement ce qui se passe. Aux Etats-Unis, depuis le début du 20è siècle, « liberalism » est synonyme de progressisme ou de socialisme.
En effet, dans ce pays profondément attaché aux libertés individuelles, pour éviter le terme de socialisme qui n’a pas bonne presse, on a pris le mot libéralisme mais en y glissant un contenu socialiste.
Schumpeter, dans son « Histoire de l’analyse économique », explique que le terme « libéral » a acquis un sens opposé à son sens originel : les ennemis de l’entreprise privée s’en sont emparés. Raymond Aron constate, lui aussi, qu’aux États-Unis le libéralisme est devenu une idéologie de gauche.

Conclusion
En Europe on oppose souvent le libéralisme politique, survalorisé, au libéralisme économique, dévalorisé (on le qualifie d’ « ultra »). Le premier « vrai » libéral à donner un sens plein au terme libéralisme, en matière économique, est Ludwig Von Mises avec son livre "Liberalismus" en 1927.
Finalement, les avatars du mot libéralisme nous donnent à réfléchir sur la nature d’une doctrine qui ne se présente jamais comme un système clos et rigide. C’est ce qui fait à la fois sa force et sa faiblesse. Sa force, c’est d’être une pensée ouverte, inachevée, infiniment plus complexe qu’on le croit souvent. Il est possible d'identifier une matrice commune, néanmoins le libéralisme n’est pas monolithique. Le récent livre de Sébastien Caré « La pensée libertarienne » le montre une nouvelle fois. Mais sa faiblesse c’est précisément cette absence de dogmatisme qui fait qu’il est si facile de détourner son sens et de le subvertir comme ne cessent de le faire tous ses ennemis, en Europe comme aux USA.
Cf. le livre de Catherine Audard et ses contre-sens révélateurs.


La prochaine séance aura lieu le jeudi 11 février. Merci de m'écrire assez vite si vous souhaitez y participer : 
info@nicomaque.com

Commentaires

sachmo a dit…
ne déforment que ceux qui sont défavorables.
cordialement

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