Encore le darwinisme


Sur la question controversée des rapports entre science et croyance, il faut signaler l'excellent article publié dans Le Monde le 22 février par une quinzaine de grands savants, dont plusieurs prix Nobel.
En pleine polémique sur l'Intelligent Design (voir mon article), cette mise au point est très éclairante. Elle consiste d'une part à refuser l'amalgame entre créationnisme et hypothèse de facteurs internes à l'évolution (qui remet en cause en partie le darwinisme).
J'ai déjà eu l'occasion de dire clairement mon rejet du créationnisme, théorie irrationnelle qui confond la Bible avec un traité d'astrophysique et ignore la règle d'interprétation des Ecritures. Mais les fanatiques du darwinisme n'hésitent pas à taxer de créationnisme toute tentative de réfutation scientifique de leur propre théorie.
D'autre part, l'article dénonce un autre amalgame, celui consiste à confondre le mouvement de l'Intelligent Design avec "les découvertes scientifiques récentes qui donnent droit de cité, sans les prouver, aux conceptions non matérialistes du monde". Autrement dit, autant la théorie de l'ID est ambigüe parce qu'elle mélange science et politique, autant le débat d'idées sur "les implications philosophiques et métaphysiques des découvertes scientifiques" est légitime.

En quoi consiste ce débat ?

"Le domaine de recherche concerné est issu de la découverte, dans les années 1980, selon laquelle il était nécessaire que l'Univers fût réglé de la façon la plus précise (fine-tuned) pour que la vie puisse y apparaître. Et qu'une petite modification des constantes et des lois de l'Univers rendrait celui-ci impropre à voir s'y développer toute forme de complexité.
Ce domaine de recherche, qui concerne ce qu'on appelle le "principe anthropique", a donné lieu à de nombreuses publications dans des revues à référés. L'existence de ce réglage a amené certains scientifiques à penser que cela donnait une possibilité nouvelle - mais en aucun cas une preuve - à l'hypothèse de l'existence d'un principe créateur. "

  • Les auteurs :
  1. Jacques Arsac, informaticien, Académie des sciences ;
  2. Mario Beauregard, neurologue, université de Montréal ;
  3. Raymond Chiao, physicien, professeur à l'université de Berkeley ;
  4. Freeman Dyson, physicien, professeur à l'Institut d'études avancées de Princeton ;
  5. Bernard d'Espagnat, physicien, Académie des sciences morales et politiques ;
  6. Nidhal Guessoum, astronome, professeur à l'université américaine de Sharjah ;
  7. Stanley Klein, physicien, professeur à l'université de Berkeley ;
  8. Jean Kovalevsky, astronome, membre de l'Académie des sciences ;
  9. Dominique Laplane, neurologue, professeur à l'Université Paris-VI ;
  10. Mario Molina, Prix Nobel de Chimie, université de San Diego ;
  11. Bill Newsome, neurologue, professeur à l'université de Stanford ;
  12. Pierre Perrier, modélisation, Académie des sciences ;
  13. Lothar Schafer, physicien, professeur à l'université de l'Arkansas ;
  14. Charles Townes, Prix Nobel de Physique, université de Berkeley ;
  15. Trinh Xuan Thuan, astronome, professeur à l'université de Virginie.
  • Quelques extraits :
"La légitimité de ce débat est aujourd'hui menacée, en France comme aux Etats-Unis, par deux confusions qui sont liées à l'intense développement médiatique qui a eu lieu autour du mouvement dit du "Dessein intelligent" (Intelligent Design). Mouvement qui transgresse les limites de la science à la fois par son programme politique (la modification des programmes d'enseignement dans les lycées américains) et la présence en son sein de nombreux créationnistes qui nient quelques-unes des bases de la science moderne.
La première confusion est celle existant entre "créationnistes" et ceux qui acceptent totalement l'évolution tout en émettant différentes hypothèses sur ses mécanismes, voire recherchent d'éventuels facteurs internes. Le terme "créationniste" doit être employé uniquement pour qualifier ceux qui nient l'existence d'un ancêtre commun à toutes les principales formes de vie sur Terre et les faits de l'évolution ayant mené des premières formes de vie jusqu'aux êtres actuels. Si une telle rigueur n'était pas appliquée dans l'emploi de ces termes, tous les scientifiques déistes, juifs, musulmans et chrétiens (ainsi que la plupart des fondateurs de la science moderne) pourraient être qualifiés de "créationnistes" en ce qu'ils croient en un principe créateur. On voit bien que cela mène à une confusion extrême.
La deuxième confusion est encore plus facile à faire car elle porte sur le même terme : Dessein (Design). C'est la confusion entre ceux qui affirment que les progrès de l'astrophysique suggèrent l'idée selon laquelle un dessein existant dans l'Univers n'est pas à exclure, et le mouvement du Dessein intelligent.
Ainsi, en 1999, l'American Association for Advancement of Science (AAAS), la plus grande association mondiale de scientifiques et éditrice de la revue Science a-t-elle organisé un colloque sur les "Questions cosmiques" (Cosmic Questions), dont une journée était intitulée : "Y a-t-il un dessein dans l'Univers ?" ("Is the Universe designed ?"). Bien entendu, aucun des supporteurs actuels du Dessein intelligent n'y avait été invité."
"A ce propos, il faut souligner que, même si l'acceptation du matérialisme méthodologique est à la base de la méthode utilisée dans la plupart des disciplines scientifiques (bien que la physique quantique fasse exception aux yeux de nombre de ses spécialistes), cette acceptation ne doit pas être présentée comme menant obligatoirement au matérialisme scientifique ou le validant.Nous tenons donc à affirmer que :
- Vouloir se servir de l'existence d'un mouvement comme le Dessein intelligent pour discréditer les scientifiques qui affirment, a posteriori, que les découvertes scientifiques récentes donnent droit de cité, sans les prouver, aux conceptions non matérialistes du monde, c'est effectuer, volontairement ou non, une confusion qu'il convient de dénoncer.
- Accuser, comme cela a été le cas récemment en France, ces mêmes scientifiques de se livrer à des "intrusions spiritualistes en science", c'est contraire à l'éthique et à la liberté du débat qui doit exister sur les implications philosophiques et métaphysiques des découvertes scientifiques. C'est aussi faire deux poids deux mesures, car ces mêmes personnes n'accusent nullement un Richard Dawkins, par exemple, d'"intrusion matérialiste en science".
- Agir de cette façon, ce n'est pas servir la science. En une période où il existe une crise de vocation importante chez les jeunes pour les carrières scientifiques, où la science est soumise à différentes sortes de critiques, celle-ci se doit d'être la plus ouverte possible (entre autres ouverte à la question du sens) et ne doit pas se refermer autour d'un rationalisme borné caractéristique du scientisme.
  • Lire l'article sur le site du journal Le Monde

Commentaires

Anonyme a dit…
Bonjour,

Difficile de tout dire en un bref billet sur un tel sujet. Dans ce débat entre darwinisme et ID, je m'attendais toutefois au rappel des ravages politiques provoqués par une certaine vulgarisation du darwinisme. Les idées de "sélection naturelle", d'élimination des faibles, de "struggle for life" servaient à certains partisans du colonialisme ou du racialisme et elle sont toujours utilisées par certains partisans d'une société fondée sur une compétition anarchique de tous contre tous (sociobiologie). En comparaison, vouloir réformer les programmes scolaires me paraît un engagement "politique" mineur. D'ailleurs, si l'on tient une théorie scientifique pour déficiente, il me paraît simplement logique d'en tenir compte pour l'enseignement des sciences, est-ce de la "politique" ? Il est vrai que les anti-darwiniens ont des arrière-pensées.

Personnellement, comme je ne suis pas biologiste, je me considère incompétent dans ce débat, mais j'attends toujours que l'on m'explique comment des mutations génétiques aléatoires peuvent être le moteur d'une "évolution" positive d'organismes complexes, même en se donnant des millions d'années. Ces mutations sont, pour autant que l'on puisse l'observer, toujours morbides et au mieux inoffensives.

Je pense que l'improbable enchaînement des mutations supposé constituer l'évolution doit avoir une autre cause que le hasard. Ce n'est peut-être pas Dieu directement, mais c'est aux matérialistes de trouver quoi.

Entièrement d'accord avec vous et avec saint Augustin (qui de son temps ne la lisait pas littéralement !) pour une lecture humble et ouverte du début de la Bible. D'ailleurs le mot "jour" est utilisé à la fin du ch. 1 dans le sens de "période" pour désigner les six "jours" précédents, et la chronologie du ch. 2 est différente de celle du ch. 1. L'Esprit Lui-même semble nous dissuader d'une lecture fermée de ce texte.

Posts les plus consultés de ce blog

Rousseau vs Hobbes : le faux duel de la présidentielle

Pourquoi j'enseigne. Voeux à mes élèves.

Peut-on en finir avec les préjugés ?