De la démocratie en Occident


En cette période électorale, rien ne vaut une petite revue de citations sur la démocratie. Bien entendu, je garde le meilleur pour la fin...

JACQUES ELLUL :

... « Tout cela, c'est le spectacle, l'apparence sans racine, le jeu... La scintillation du petit écran fixe définitivement l'attention de l'individu sur le spectacle, et l'empêche par là même de chercher au-delà, et derrière, de se poser la question de la réalité du pouvoir » (1)...

... « Ce que l'on nous propose là, c'est en réalité la démocratie de propagande, celle où le citoyen ne décide plus rien parce qu'il est intégré dans une masse fortement organisée, manipulée par la propagande, et qu'il se borne à adhérer avec enthousiasme à toutes les décisions prises en son nom, ou encore à formuler avec autorité tout ce qui lui est suggéré » (2) ...

... « La démocratie organisée que l'on nous présente n'est rien d'autre que la constitution d'un système féodal, structurée sur d'autres bases que la propriété terrienne, mais présentant exactement tous les caractères sociologiques d'une féodalité traditionnelle, et les cadres professionnels des partis, syndicats et mouvements représentant parfaitement la hiérarchie des nouveaux seigneurs » (3)...

« ... Ellul souligne que le vrai totalitarisme, conjonction de l'Etat moderne et de la technique, est en passe de triompher, au coeur des démocraties, en dépit du reflux des tyrannies idéologiques ( et en tant que telles encore très irrationnelles) de Hitler et de Staline... ». (4)

(1) Jacques Ellul, L'llusion politique, publié en 1977. Lire l'édition 2004 (La Table Ronde), avec une excellente préface de Daniel Compagnon. P. 220.
(2) p. 225. Op. Cit.
(3) p. 245. Op. Cit.
(4) D. Compagnon. Op. Cit.

HAYEK :

Il semble que partout où les institutions démocratiques ont cessé d'être contenues par la tradition de suprématie du droit, elles aient conduit non seulement à la « démocratie totalitaire » mais, au bout d'un temps, à une « dictature plébiscitaire ». Cela devrait nous faire assurément comprendre que ce qui est précieux à posséder n'est pas un certain assemblage d'institutions certes faciles à imiter, mais quelques traditions moins tangibles; et que la dégénérescence de ces institutions peut même être inévitable, partout où la logique intrinsèque de la machinerie n'est pas bloquée à temps par la prépondérance des conceptions que l'on se fait en général de la justice.
Ne peut -on penser qu'en vérité, comme il a été bien dit, « croire en la démocratie implique que l'on croie d'abord à des choses plus hautes que la démocratie ». Il doit bien y avoir une voie ouverte au peuple poux maintenir un gouvernement démocratique, autre que de remettre un pouvoir illimité à un groupe de représentants élus dont les décisions sont forcément orientées par les exigences d'un processus de marchandage, au cours duquel ils achètent le vote d'un nombre suffisant d'électeurs poux soutenir dans leur assemblée un groupe organisé capable de réunir plus de voix que le reste ? (5)

(5) Chapitre 12, Droit, législation et liberté, Vollume 3 : L’ordre politique d’un peuple libre.

PASCAL SALIN :

L'absolutisme démocratique a acquis un tel empire sur les esprits qu'on considère bien souvent que le meilleur des modes d'organisation, pour n'importe quelle organisation humaine, est de type démocratique. D'où son extension à la gestion des universités ou des entreprises publiques et les efforts constants de certains pour que l'entreprise soit gérée de manière « démocratique ».

L'extension de cet absolutisme démocratique va évidemment de pair avec une méfiance très grande à l'égard des solutions de marché et c'est pourquoi on s'achemine bien souvent vers la recherche de solutions de type collectiviste où la négociation et le «dialogue », par l'intermédiaire de représentants démocratiquement élus, sont censés conduire à un consensus. C'est l'illusion de la convergence des intérêts, non pas entre les individus - ce que seul le marché permet de réaliser - mais entre les groupes organisés.

Le résultat de cette conception de la vie sociale est évidemment le corporatisme qui, étrangement, a conduit la France d'aujourd'hui à ressembler à la France de l'Ancien Régime. (...)

Cette conception collectiviste de la société conduit naturellement à la politisation de la vie quotidienne. Tout est le résultat des luttes pour le pouvoir, qu'il s'agisse de la santé, de l'éducation ou de l'activité entrepreneuriale. Mais parce qu'elle ignore les besoins individuels, aussi bien que les informations individuelles, cette conception, loin de conduire à l'harmonie, est source de frustrations et d'envies insatiables. Lorsque les choix quotidiens de votre vie sont essentiellement effectués par d'autres que vous, même si ceux qui décident sont censés être vos représentants, vous devez soit subir leurs décisions, soit vous lancer dans un combat épuisant et inégal pour essayer d'exprimer et de faire comprendre la réalité de vos besoins. (6)


(6) Libéralisme, Odile Jacob, 2000

HANS HERMAN HOPPE :

Il faut souligner que la démocratie est immorale en plus d'être anti-économique. Pour ce qui est du statut moral de la règle majoritaire, il faut faire remarquer qu'elle permet que Dupond et Durand s'acoquinent pour voler Duschmolle ; de même, que Duschmolle et Dupond s'entendent pour voler Durand, et encore que Durand et Duschmolle complotent contre Dupond. Ce n'est pas de la "justice", mais une infamie, et bien loin de traiter avec respect les démocrates et la démocratie, il faudrait les juger avec mépris et les bafouer pour leur escroquerie intellectuelle et morale.

En ce qui concerne les propriétés économiques de la démocratie, il faut rappeler sans relâche que ce n'est pas la démocratie mais la propriété privée, la production et l'échange volontaire qui sont les véritables sources de la civilisation et de la prospérité humaines. En particulier, et contrairement à un mythe répandu, il faut souligner que le défaut de démocratie n'était absolument pour rien dans la faillite du socialisme soviétique. Ce n'était pas le mode de sélection des politiciens qui constituait le problème du socialisme réel. C'était la politique et la politisation des décisions en tant que telles.
Au lieu que chaque producteur privé décide indépendamment quoi faire de ressources particulières, comme dans un régime de propriété privée et de contractualisme, avec des facteurs de production complètement ou partiellement socialisés chacune de ces décisions nécessite l'autorisation de quelqu'un d'autre. Peu importe au producteur comment sont choisis ceux qui donnent cette permission. Ce qui compte, pour lui, c'est qu'il ait à demander la permission. Aussi longtemps que c'est le cas, l'incitation des producteurs à produire est réduite et l'appauvrissement doit en résulter. La propriété privée est aussi incompatible avec la démocratie qu'elle l'est avec toute autre forme de domination politique. A la place de la démocratie, ce qu'exigent la justice aussi bien que l'efficacité économique, c'est une société de propriété privée stricte et non entravée —une "anarchie de production"— dans laquelle personne ne vole personne, et où toutes les relations entre producteurs sont volontaires, et par conséquent mutuellement avantageuses.

Enfin, pour ce qui est des considérations stratégiques, pour approcher le but d'un ordre social non-exploiteur, c'est-à-dire une anarchie de propriété privée, l'idée majoritaire doit être retournée contre la domination démocratique elle-même.
Sous toutes les formes de domination étatique, y compris la démocratie, la classe dirigeante des politiciens et des fonctionnaires ne représente qu'une faible fraction de la population. Alors qu'il est possible qu'une centaine de parasites vivent une vie confortable sur le produit d'un millier d'hôtes, un millier de parasites ne peut pas vivre sur le dos d'une centaine d'hôtes. A partir de la reconnaissance de ce fait, il apparaîtrait possible de persuader une majorité des électeurs que c'est ajouter une honte au préjudice subi que de permettre à ceux qui vivent des impôts des autres de déterminer quel sera leur montant ; on pourrait alors, par un vote majoritaire, retirer le droit de vote à tous les fonctionnaires et à tous ceux qui vivent de l'argent de l'Etat, qu'ils soient parasites des systèmes sociaux ou fournisseurs des administrations. (7)


(7) "Down With Democracy", Enterprise and Education, The Association of Private Enterprise Education Newsletter, Summer 1995. Traduit par François Guillaumat

ANDRE COMTE-SPONVILLE :

Les limites théoriques de la démocratie sont simples : on ne vote pas sur le vrai et sur le faux. Sinon, ce n’est plus de la démocratie mais de la sophistique. D’ailleurs tout vote suppose qu’on compte les voix. Mais cela n’est possible que parce que l’arithmétique, elle, n’est pas soumise au vote ! Si tout se vote, on ne peut plus voter : c’est parce que l’arithmétique n’est pas soumise à la démocratie que la démocratie est possible.
La vérité n’est pas démocratique : elle n’est pas soumise à la souveraineté du peuple. Le jour où un vote sera organisé pour savoir si la Terre tourne ou non autour du soleil, il s’agira moins de démocratie que de sophistique. De même si nous devions voter pour savoir s’il y a eu des chambres à gaz d’Auschwitz ou non. La loi Gayssot, qui punit le négationnisme, est une fausse bonne idée. Le négationnisme étant dépourvu de toute plausibilité historique, il était absurde — c’est ce que beaucoup d’historiens ont souligné — de voter une loi pour l’interdire. (…)
Enfin, il y a des limites institutionnelles à la démocratie. Le pouvoir appartient au peuple. Mais ce principe ne vaut que là où le peuple est souverain. (…) La démocratie, cela sert à prendre le pouvoir. Dans la famille, le pouvoir n’est pas à prendre : ce sont les parents qui l’ont. Il suffit d’avoir au moins trois enfants pour s’en rendre compte très vite : si la vie de famille était soumise au vote, les enfants seraient toujours majoritaires, et ce serait le pire cadeau que nous puissions leur faire.
L’école non plus n’est pas une démocratie. On ne va pas voter pour savoir combien font deux plus deux. Ni pour savoir à quelle date a été prise la Bastille. Ni pour savoir si on va faire de la grammaire ou du football. A l’école, seul le maître a le pouvoir. Du moins, il devrait l’avoir. Mais aujourd’hui il passe son temps à se battre pour le conquérir ou le garder. Les maîtres ont donc de moins en moins le temps d’enseigner… Bref, il est urgent de redonner le pouvoir aux maîtres, et cela n’ira pas sans un système efficace de sanction. (8)

(8) Conférence à Cannes le samedi 20 décembre 2003, Mondialisation et civilisations : Quelles valeurs pour le XXIe siècle ?

TOCQUEVILLE :

Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde; je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils remplissent leur âme. Chacun d'eux retiré à l'écart est comme étranger à la destinée de tous les autres; ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine...
Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril mais il ne cherche au contraire qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance; il aime que les citoyens se réjouissent pourvu qu'ils ne pensent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leurs industries, règle leurs successions, divise leurs héritages; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ! (9)

(9) De la démocratie en Amérique

PLATON :

" Eh bien !A mon avis, la démocratie apparaît lorsque les pauvres, ayant emporté la victoire sur les riches, massacrent les uns, bannissent les autres, et partagent également avec ceux qui restent le gouvernement et les charges publiques ; et le plus souvent ces charges sont tirées au sort. (…) Maintenant, voyons de quelle manière ces gens-là s’administrent, et ce que peut être une telle constitution. Aussi bien est-il que l’individu qui lui ressemble nous découvrira les traits de l’homme démocratique. En premier lieu, n’est-il pas vrai qu’ils sont libres, que la cité déborde de liberté et de franc-parler, et qu’on y a licence de faire tout ce qu’on veut ? Or il est clair que partout où règne cette licence chacun organise sa vie comme il lui plaît. On trouvera donc, j’imagine, des hommes de toute sorte dans ce gouvernement plus que dans aucun autre. Ainsi, il y a chance qu’il soit le plus beau de tous. Comme un vêtement bigarré qui offre toute la variété des couleurs, offrant toute la variété des caractères, il pourra paraître d’une beauté achevée. Et peut-être beaucoup de gens, pareils aux enfants et aux femmes qui admirent les bigarrures, décideront-ils qu’il est le plus beau. Et c’est là qu’il est commode de chercher une constitution, parce qu’on les y trouve toutes, grâce à la licence qui y règne ; et il semble que celui qui veut fonder une cité, ce que nous faisions tout à l’heure, soit obligé de se rendre dans un Etat démocratique, comme dans un bazar de constitutions, pour choisir celle qu’il préfère, et d’après ce modèle, réaliser ensuite son projet. Dans cet Etat, on n’est pas contraint de commander si l’on en est capable, ni d’obéir si l’on ne veut pas, non plus que de faire la guerre quand les autres la font, ni de rester en paix quand les autres y restent, si l’on ne désire point la paix ; d’autre part, la loi vous interdit-elle d’être magistrat ou juge, vous n’en pouvez pas moins exercer ces fonctions, si la fantaisie vous en prend. N’est-ce pas une condition divine et délicieuse au premier abord ? (…) Tels sont les avantages de la démocratie. C’est un gouvernement agréable, anomique et bigarré, qui dispense une sorte d'égalité aussi bien à ce qui est inégal qu’à ce qui est égal. (10)

Que le père s’accoutume à traiter son fils comme son égal et à redouter ses enfants, que le fils s’égale à son père et n’a ni respect ni crainte pour ses parents, parce qu’il veut être libre, que le métèque devient l’égal du citoyen, le citoyen du métèque, et l’étranger pareillement. (…) Or, vois-tu le résultat de tous ces abus accumulés ? Conçois-tu bien qu’ils rendent l’âme des citoyens tellement ombrageuse qu’à la moindre apparence de contrainte ceux-ci s’indignent et se révoltent ? Et ils en viennent à la fin, tu le sais, à ne plus s’inquiéter des lois écrites, afin de n’avoir absolument aucun maître. Eh bien ! c’est ce gouvernement si beau et si juvénile qui donne naissance à la tyrannie. (…) Ainsi, l’excès de liberté doit aboutir à un excès de servitude, et dans l’individu, et dans l’Etat. (11)

(10) La République, VIII, 557b – 558 b.
(11) République, VIII, 562 b- 564 a

Commentaires

Anonyme a dit…
Superbe florilège de citations... Je trouve qu'il complète parfaitement le vide "argumentaire" que l'on peut sentir dans mon article du 20 avril. C'est pourquoi, si vous le voulez bien, j'indiquerai sur la page de ce dernier un lien dirigeant sur votre billet.

En ces temps d'ultra-médiatisation de la campagne pour les élections présidentielles, il fait bon entendre les voix nouvelles et passées appelant à ne pas se complaire de notre système politique...

Ceux qui perçoivent déjà au loin le soulèvement des fourches (ou plutôt des claviers) veulent sauver la démocratie en brandissant l'idée d'une nouvelle constitution... Comme si le problème se situé dans le nombre et dans la place des institutions...

Que le regard se dirige vers le progrès et non sur un passé, même révolutionnaire !

Dernière remarque si vous le permettez :
La liberté d'opinion est une chose... essentielle même...
La représentativité politique l'est également...
Mais comment se peut-il qu'au regard du passé nous puissions continuer à présenter l'extrême gauche comme n'étant que "la gauche de la gauche". Pourquoi les journalistes, là, ne jouent-ils pas leur rôle ? Quand traiterons nous enfin le PC à l'égal du FN ???
Damien Theillier a dit…
Bien d'accord avec vous. Je m'étonne qu'on trouve 5 candidats de la gauche anti-libérale et que le seul candidat qui avait revendiqué l'étiquette libérale (Edouard Fillias), n'ait pas eu ses 500 signatures... Drôle de démocratie qui diabolise systématiquement certains candidats (hier Le Pen, aujourd'hui Sarkozy) et manipule l'opinion à longueur de journée.
Anonyme a dit…
Bravo à Nicomaque pour ces citations tellement éclairantes et rendez-vous sur http:/socialdabord.blogspot.com/

A +

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