Hayek en 4 leçons


En complément de mon article précédent (ici), je voudrais mettre à la portée de tous quelques principes essentiels de la philosophie libérale d'Hayek.

Hayek a été l’un des tout premiers économistes à annoncer et à prévoir les causes de l’inévitable effondrement du système communiste.
Dans les extraits qui vont suivre, Gilles Dostaler se penche sur les fondements du libéralisme de Hayek, en évoquant sa conception de la connaissance et sa théorie des ordres spontanés, sur lesquels s'appuie son rejet du socialisme et de la planification. Il examine enfin sa conception de l'État et des rapports entre l'État et l'économie. Le libéralisme de Hayek a, dans le courant libéral contemporain, des caractéristiques singulières qui le distinguent de plusieurs autres courants.


J'en profite aussi pour signaler la parution le mois dernier d'un recueil d'articles de Hayek : Essais de philosophie, de science politique et d'économie, aux éditions Belles Lettres (95 bd Raspail). Voir la notice ici.

Ce livre rassemble les articles qui ont donné les grandes lignes de Droit, Législation et liberté, la grande synthèse (désormais introuvable en français) des années 70. Un livre à lire de toute urgence, après La route de la servitude, si l'on veut aller au coeur de la philosophie du maître.


Hayek en 4 leçons :



1° Hayek oppose, à sa vision de la connaissance, le scientisme, qu'il définit comme une imitation servile des méthodes des sciences naturelles dans le domaine des sciences sociales. Le scientisme dérive du rationalisme constructiviste ou naïf, qui s'appuie sur une confiance illimitée dans les possibilités de la raison. Descartes est le grand responsable de cette prétention prométhéenne. La France en est la principale terre d'élection, avec les encyclopédistes, Jean-Jacques Rousseau, l'École polytechnique, le saint-simonisme et Comte, mais la Grande-Bretagne a été elle-même pervertie, à travers Bacon, Hobbes ou Bentham.Le scientisme se caractérise aussi par son " totalisme ", qui consiste à traiter des totalités, telles que la société, l'économie, le capitalisme, l'impérialisme, comme des entités, des objets nettement délimités qu'on peut connaître parfaitement. Au totalisme est étroitement associé l'historicisme, fruit de la prétention selon laquelle on pourrait découvrir des lois de l'histoire, illusion véhiculée par les Hegel, Comte et Marx. Le marxisme en est le principal véhicule dans les temps modernes. Au "totalisme scientiste" sont reliés le socialisme et le "totalisme politique", ou totalitarisme. Le scientisme croit que la civilisation est le produit de la raison. Il croit donc qu'on peut consciemment diriger la société, la reconstruire rationnellement. Le totalitarisme politique, dont l'évolution de la Révolution française est le meilleur exemple, est donc, pour Hayek, le fruit d'une erreur intellectuelle.


2° Le socialisme n'est pas le fruit de la perversion des socialistes ou de leur soif de pouvoir, mais d'une erreur intellectuelle : le scientisme et le rationalisme naïf ou constructiviste. Cette erreur fonde la croyance dans la possibilité de concevoir rationnellement les institutions sociales et de les transformer. Peu de temps après la publication de La route de la servitude, Hayek écrivait que le socialisme traditionnel n'avait pas survécu à sa mise en œuvre concrète en Russie. Ce rêve n'aura duré qu'un siècle, de 1848 à 1948. C'est, désormais, le socialisme démocratique ou la social-démocratie qui figure à l'agenda des intellectuels progressistes. Mais le danger est le même.


3° L'État a tendance à outrepasser son territoire, à exercer son monopole en (tout) lieux. Il importe donc qu'il soit lui-même contrôlé, contraint et limité. Il doit l'être par la règle de droit. Bien plus que l'extension des libertés politiques, la limitation du pouvoir de l'État par la règle de droit est, pour Hayek, la thèse centrale du libéralisme. Cette règle, celle du gouvernement par les lois plutôt que par les hommes, a été inventée et énoncée par les Grecs. La montée de l'État absolutiste au Moyen Âge a marqué la mise en veilleuse de la règle de droit, dont la renaissance est liée à la "glorieuse révolution" du XVIIe siècle en Angleterre. De l'Angleterre, le flambeau du libéralisme est passé aux États-Unis. Mais c'est en France que la perversion de la règle de droit a atteint son point culminant. Terre d'élection du scientisme, la France est un pays qui, au dire de Hayek, n'a jamais vraiment connu la liberté. Les idéaux de la Révolution française et de la lutte contre l'absolutisme étaient axés sur la règle de droit. Mais ces idéaux furent vite oubliés, au profit du " gouvernement par les hommes ", d'une nouvelle forme d'absolutisme, d'un " totalitarisme démocratique ". Car, pour Hayek, la démocratie n'est pas un bien en soi, contrairement au libéralisme. Elle est une forme de gouvernement, la moins mauvaise. Mais elle peut, aussi bien que l'absolutisme, violer la règle de droit. La majorité peut exercer une coercition sur la minorité. La démocratie doit donc être soumise à la règle de droit. Seul un cadre juridique dominé par la règle de droit peut garantir la liberté, l'absence de coercition, le fonctionnement naturel de l'ordre spontané. Le droit, tel que le conçoit Hayek, est d'ailleurs lui-même un ordre spontané, fruit d'une longue évolution. Les lois ne sont pas élaborées rationnellement par les individus.


4° Hayek reconnaît aussi que l'État a un rôle à jouer pour assurer divers autres services: "Loin de plaider pour un tel "État minimal", il nous apparaît hors de doute que dans une société évoluée le gouvernement doive se servir de son pouvoir fiscal pour assurer un certain nombre de services qui, pour diverses raisons, ne peuvent être fournis, du moins adéquatement, par le marché." (Hayek [1979] 1983, p. 49.) Il en est ainsi pour des services qui profitent à tous et qu'on ne peut fournir sans que tous contribuent à leurs coûts.Les principales catégories de biens publics qui ne peuvent qu'être offerts à tous indistinctement sont pour Hayek les suivants: la protection contre la violence, les épidémies et catastrophes naturelles, telles qu'inondations, tremblements de terre, incendies ; la plupart des routes, à l'exception de celles sur lesquelles on peut demander un péage ; un certain nombre de services urbains; la définition des poids et mesures; la fourniture d'informations telles que les cadastres, cartes, statistiques diverses, certificats de qualité pour certaines marchandises.


Gilles Dostaler, professeur d'économie, UQAM, " Hayek et sa reconstruction du libéralisme ". Un article publié dans la revue Cahiers de recherche sociologique, no 32, 1999, pp. 119 à 141. Texte intégral de l’article ici.

Commentaires

Anonyme a dit…
Très intéressant ! Merci pour la leçon...
Vous m'avez donné envie d'en lire plus sur ce philosophe...

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