Les cathos et le libéralisme...
























La Nef est un magazine catholique se réclamant d'une "totale fidélité à l'Eglise enseignante et au pape Benoît XVI qui la gouverne". Je ne peux que souscrire à cette loyauté et j'ajoute que son attachement à la messe traditionnelle en latin attire toute ma sympathie et mon soutien. Malheureusement, son rédacteur en chef Christophe Geffroy publie ce mois de juin un article : Refuser l’hégémonie libérale qui laisse dubitatif... La faiblesse de l'article provient autant de sa tonalité doctrinaire que des nombreuses erreurs factuelles qui traduisent une profonde ignorance de l'histoire du libéralisme, de la philosophie et de la science économique (qui est une partie de la philosophie morale).
Le titre, qui rappelle les manifestes altermondialistes et complotistes qui pullulent sur le net, a déjà de quoi déplaire. Mais dès les premières lignes de l'article de Geffroy, mon impression se confirme en lisant ceci :

"Bien que Tocqueville ait été français, le libéralisme est d’esprit anglo-saxon et il n’avait jusqu’alors jamais vraiment influencé en profondeur la pensée politique française. Assiste-t-on aujourd’hui à un tournant ? En effet, dans les faits plus qu’intellectuellement, le libéralisme semble avoir gagné la partie. Le rapport Attali en est un symbole : le libéralisme pur et dur est maintenant défendu par un socialiste, ancienne éminence grise de François Mitterrand."

Je relève deux erreurs dans ce passage qui débute l'article :

1° "Le libéralisme est d'esprit anglo-saxon".
C. Geffroy semble ignorer qu'il existe une école française du libéralisme, tant économique que politique (dont Tocqueville n'est qu'un représentant et pas le plus influent) qui va de Turgot, Boisguilbert et Quesnay à Laboulay, en passant par Montesquieu, Destutt de Tracy, Guizot, Say, Constant, Bastiat, Molinari, Montalembert, Leroy-Beaulieu, Dunoyer, et Coquelin. Cette école qui a irrigué la politique française durant tout le XIXe siècle est au coeur de notre culture. Cette école continue d'avoir un puissant rayonnement, notamment à l'étranger (aux Etats-Unis par exemple, un Murray Rothbard a appris le français pour pouvoir lire et enseigner Turgot à l'université).
Pour combattre le libéralisme il faudrait commencer par le connaître. On ne peut pas se contenter de la doctrine sociale de l'Eglise, malgré tout le respect que nous lui portons...

2° "le libéralisme pur et dur est maintenant défendu par un socialiste".
Non, Attali n'est pas un libéral, il a lui-même catégoriquement (et fort honnêtement) rejeté cette étiquette. C'est un social-démocrate doublé d'un libertaire (exactement comme Delanoë, sauf que ce dernier détourne abusivement à son profit le terme "libéral"). Je le cite : "Le marché c'est le désordre extrême". Son objectif pour remédier à une tel désordre ? Mettre en place un gouvernement mondial. Or rien n'est plus opposé à la tradition libérale. Par ailleurs, il y a bien des propositions libérales dans le rapport Attali (sur le logement, sur la suppression du principe de précaution). Mais la méthode même consistant à vouloir que l'Etat fasse appliquer un certain nombre de décrets pris par une commission d'experts est complètement anti-libérale. Attali, comme Sarkozy, sont des partisans de l’ordre construit (ce que Hayek appelle le constructivisme, qui n'est qu'une forme d'hyper rationalisme) contre l’ordre spontané ou auto-organisé (qui n'est pas un ordre naturel puisqu'il résulte bien de l'action des hommes mais non de leur intentions délibérées).

Concernant la suite de l'article de Geffroy, j'ai trouvé un article sur le blog d'un catholique (Polydamas) qui réfute point par point un certain nombre d'erreurs plus graves encore. L'auteur a lu Hayek et possède manifestement une vraie culture philosophique et économique. Je vous y renvoie de toute urgence. C'est une leçon d'intelligence et de rigueur. On aimerait que les catholiques suivent cet exemple et fassent l'effort d'acquérir un minimum de culture avant de partir en croisade.

Cela dit, sur le fond, que penser du libéralisme en tant que tel ? Sans entrer dans les détails philosophiques et théologiques (je renvoie pour cela à mon article dans Liberté politique et à bien d'autres), beaucoup aujourd'hui sont tentés, à droite comme à gauche, d'en faire le bouc émissaire de tout ce qui ne va pas, dans l'Eglise comme dans le monde.
En réalité, en tant que philosophie politique et économique, le libéralisme se confond avec la modernité elle-même. De ce point de vue l'homme occidental est libéral, qu'il le veuille ou non. Le problème n'est donc pas d'être pour ou contre mais de le penser. Il s'agit d'abord d'en avoir une compréhension affinée, fondée sur une connaissance précise de ses récents développements théoriques, notamment depuis les années 50, avec l'école autrichienne puis américaine (l'école de Chicago). Tout le travail de ces chercheurs tend à articuler liberté et responsabilité morale, liberté politique et liberté économique. Le problème ensuite est de conjuguer ce libéralisme renouvelé avec les principes d'une doctrine catholique. C'est un véritable défi, comparable à celui que Thomas d'Aquin a dû relever avec la culture et la science de son époque. Là encore, de nombreux travaux existent et doivent être poursuivis. Je pense par exemple à l'Association des économistes catholiques ou bien à l'Acton Institute, fondé par le père jésuite Robert Sirico.


Je rappelle encore, l'excellent blog de Polydamas, cité plus haut et je signale la grande qualité des commentaires ajoutés à son article.



(J'emprunte ces deux images humoristique à un site très bien fait : le libéralisme pour les nuls)

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