Sartre et Aron
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L'opposition, aujourd'hui banale en France, entre les figures de Sartre et de Raymond Aron vient ici à l'esprit. On a un peu trop tendance à l'assimiler à celle entre politique et science: d'un côté le pur idéologue, qui décide finalement de tout en fonction de ses choix affectifs, de l'autre le spécialiste, le savant, qui a appris à se mettre à l'écoute des faits. Pourtant, Aron est aussi un moraliste. Leurs morales, cependant, n'ont pas même origine: Sartre a, en dernière analyse, celle du croyant qui adhère aveuglément à un dogme; Aron professe une morale rationnelle, fondée sur l'idée de l'universalité humaine et maintenue par le débat argumenté. C'est pour cette raison que Sartre se soucie peu des faits, alors que leur prise en compte est le premier pas obligé dans la démarche d'Aron. Cependant, Aron n'était pas un partisan de la realpolitik; le problème qu'il cherchait constamment à résoudre pourrait même être formulé ainsi: comment, après avoir reconnu que la politique n'est pas la morale, distinguer entre politiques acceptables et politiques inacceptables? L'intellectuel n'a pas à se faire pourvoyeur d'espoirs ni défenseur du souverain bien; plutôt, dans un monde où le bien et le mal absolus sont rares, il aide à distinguer entre meilleur et pire."
Todorov
Ce texte est extrait de L'homme dépaysé de Tzvetan Todorov. Copyright Editions du Seuil.
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