Entretien publié sur Contrepoints, avec un dossier spécial La Grève

Damien Theillier, comment avez-vous découvert Ayn Rand ? 

Je l’ai découverte en lisant un extrait de The virtue of selfishness sur le web il y a déjà pas mal d’années. J’avais l’impression de lire du Aristote moderne, ce qui n’est pas banal. Certains passages de ce livre sont très proches de l’Ethique à Nicomaque d’Aristote. Par suite j’ai pu me procurer le DVD du film The Fountainhead et m’en servir comme support d’un cours de philosophie sur l’éthique en classes préparatoires. 

S’il vous fallait résumer La Grève en une phrase, que diriez-vous ? 

Son objectif est de montrer concrètement ce qui peut arriver à une société (à une civilisation ?) quand la réussite individuelle est discréditée, diabolisée par des bureaucrates collectivistes. 

Parmi les personnages du roman, quel est celui dont vous vous sentez le plus proche ? Pourquoi ? 

Fransisco d’Anconia m’amuse beaucoup par sa gaité et sa dérision. C’est un provocateur doué d’une ironie assez géniale. Sa manière à lui de faire la grève, c’est de ruiner par tous les moyens le système collectiviste et de ridiculiser les bureaucrates arrogants et prétentieux. Mais Dagny Taggart est l’une des plus belles héroïnes de la littérature moderne : humaine, intelligente, courageuse, incorruptible et attractive. Elle est un exemple rare, en littérature, d’une vie dont les actions illustrent la logique propre au libre marché. Elle comprend le sens de la responsabilité personnelle et du choix. Elle vit par ses propres moyens et pour ses propres valeurs. 

Quelle a été votre réaction à la lecture du discours de John Galt ? 

J’ai été médusé, fasciné. Beaucoup trouvent ce morceau de bravoure trop long et didactique. Mais pour ma part j’ai beaucoup aimé le fait que, pour Ayn Rand, la clé du problème est philosophique et morale. La crise de civilisation qui est décrite dans ce roman et que nous voyons devant nos yeux tous les jours (la réalité rattrape la fiction) est une crise de l’esprit, une crise intellectuelle. Et c’est exactement ce qu’explique John Galt dans son discours. 

Parmi les thématiques – nombreuses – que le roman aborde (l’entrepreneur, le courage, le progrès scientifique, la jalousie, l’entraide, l’égoïsme, la symbolique, …), quelle est celle qui vous touche le plus ? Pourquoi ? 

C’est la thématique de la grève. C’est pour cette raison que j’ai aimé le choix du titre français du roman. C’est le cœur même de l’intrigue : un appel à la résistance à l’oppression (passive ou active). C’est une belle illustration moderne du droit de résistance tel qu’il a été défini par la scolastique médiévale, par John Locke au XVIIe siècle, puis par la Déclaration des Droits de l’homme de 1789. Les révolutions sont souvent sanglantes. La révolution imaginée par Ayn Rand dans La Grève, est différente : son héros n’est pas un chef de guerre mais un ingénieur. 

Est-ce votre œuvre préférée de Rand ? Pourquoi ? 

Comme philosophe, je suis plus intéressé par les travaux théoriques d’Ayn Rand qui développent, avec des arguments philosophiques, les principaux thèmes abordés dans ses romans. Cela dit son talent d’écrivain (d’œuvres de fiction) est certainement supérieur à son talent de philosophe. Dans ses essais, elle a tendance à jeter un peu vite l’anathème sur tous ses prédécesseurs, sans les avoir bien lus, ce qui est assez agaçant… Mais il faut lui reconnaître un talent pédagogique incomparable et un ton iconoclaste qui tranche avec le discours académique lénifiant et creux de la plupart des philosophes du XXe siècle. 


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