Une philosophe à connaître : Claudine Tiercelin

La philosophe brestoise Claudine Tiercelin occupe depuis un an la « chaire de métaphysique et de philosophie de la connaissance » au sein du Collège de France. Loin des idéalistes et des relativistes, elle tente d'être la voix, en France, d'une philosophie réaliste, dans la tradition de la scolastique médiévale. 

Le relativisme voit la réalité comme une construction. A la manière d’une technique, la réalité serait le résultat d’une certaine visée intentionnelle opérée par une personne ou un groupe de personnes à un moment donné. Bref, selon le relativisme, la réalité n’existerait pas en dehors de nous et plus précisément en dehors de nos esprits.

Selon Claudine Tiercelin, le projet d’une connaissance métaphysique qui considère les choses comme elles sont réellement, indépendamment de notre esprit, n’est pas vain, contrairement à ce qui pensait Kant. Car nous sommes capables de forger des concepts et d’utiliser notre pensée, comme autant de véhicules susceptibles de nous conduire à cette connaissance. La métaphysique est une science qui s’attache à rendre compte de la structure fondamentale de la réalité considérée comme un tout. 

Pour cela, elle s'appuie notamment sur l'héritage philosophique pragmatiste, en particulier sur l'oeuvre du philosophe américain Charles Sanders Peirce. Elle récuse "l’imagerie tenace donnant du pragmatisme une vision exactement contraire à ce qu’il fut à l’origine, à savoir, non pas une philosophie matérialiste, utilitariste, réduisant toute pensée à l’action, voire à sa « cash value », mais une métaphysique de la science d’inspiration foncièrement réaliste, rationaliste mais non positiviste, s’appuyant sur la logique et la science sans pourtant s’y réduire" (Institut Jean Nicod). 

Essai de définition de la philosophie par Claudine Tiercelin :
« Ce n’est pas une sagesse, elle ne protège et ne console de rien, et c’est fort bien ainsi. Elle ne doit surtout pas être oraculaire : un philosophe est un animal social, pas un animal grégaire, et il ne saurait servir de mouton de tête. Comme toute entreprise rationaliste dont le but est la connaissance, la philosophie se pratique sur le mode de l’enquête, non pas dans le silence du cabinet, mais dans un esprit de laboratoire, en testant ses hypothèses. Elle doit donc se tenir prête à jeter par-dessus bord toutes ses croyances, si des chocs avec le réel la forcent à en douter. »
Podcast d'une émission avec C. Tiercelin sur France Culture : cliquez ici
Un extrait de son livre : Le ciment des choses : cliquez ici (Petit traité de métaphysique scientifique réaliste)

Extrait d'un entretien avec le Télegramme de Brest

On vous qualifie généralement de philosophe analytique. Qu'est-ce que la philosophie analytique ?

Il faut déjà savoir si je suis une philosophe analytique et si l'opposition analytique-continentale a un sens! La philosophie continentale est censée être la philosophie du « continent » (européen) - mais elle se ramène, pour beaucoup, à la «philosophie française» -, là où la philosophie analytique est liée au courant anglophone et censée préférer les arguments, problèmes et concepts aux métaphores et à l'histoire, qu'on trouverait plus chez les « continentaux ». Mais de tels clivages sont artificiels. Première difficulté : les philosophes analytiques étaient historiquement des Allemands ou des Autrichiens exilés aux États-Unis (comme Hans Reichenbach); donc, les associer au courant « américain » ou « anglais », c'est brouiller les cartes... Elles se brouillent encore quand on songe que les philosophes médiévaux étaient, en un sens, les premiers philosophes analytiques. Thomas d'Aquin, Jean Duns Scot ou Pierre Abélard procédaient par objections, confrontations d'arguments avec des pairs, par échange. Autre difficulté : si on limite la philosophie continentale à la philosophie « française », c'est un pan important de la philosophie française qu'on laisse de côté : le courant rationaliste, avec des gens comme Antoine Cournot, Condillac, Ernest Renan ! Le clivage entre analytique et continental est moins schématique que sans objet. Il nourrit surtout les luttes institutionnelles et parfois, uniquement, la fibre nationaliste. 

Où vous situez-vous alors ? 

Je m'inscris principalement dans cette tradition rationaliste que je viens de décrire. La philosophie est internationale, transfrontière et transversale. Au XVIIe, Rousseau était allé se réfugier chez Hume. Au XXe, les philosophes français sont davantage allés vers la philosophie allemande lors du « tournant » d'Heidegger. Ce Leibniz américain qu'est l'immense philosophe Peirce apparaît plus européen qu'américain, tout comme les frères James. A contrario, il existe, dans ce qu'on appelle, en France, la « philosophie américaine », un courant spiritualiste, transcendantaliste, avec des auteurs comme Emerson. Il faut donc se méfier des dénominations nationales comme de la peste! La pensée ne se joue pas là-dessus. 
En revanche, il y a un clivage réel entre rationalisme et irrationalisme. Pour le rationaliste, des notions comme la vérité, la connaissance, la possibilité d'argumenter existent ; pour l'irrationaliste, tous les jugements se valent. 
Le relativisme est une tendance importante de l'époque. C'est souvent la voie ouverte à l'idéologie, au sectarisme, à une fausse tolérance. Sous couvert de pluralisme, en réalité, on ne choisit pas. Or, il y a, en philosophie comme dans la vie, des choix à faire. Toute pensée est engagement

Propos recueillis par Marie Coudurier

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