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Hegel et la divinisation de l’État

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Par Damien Theillier* Le XXe siècle fut le siècle de la croissance ininterrompue de l’État. Mais pour comprendre ce phénomène, il est nécessaire de regarder un peu en arrière. C’est en effet à partir de la Révolution Française qu’on trouve les grands théoriciens de l’État moderne. Et Hegel fait partie de ceux-là. Dans  La société ouverte et ses ennemis  (1945), Karl Popper range la pensée hégélienne, avec celle de Platon, au nombre des ennemis de la société ouverte. Selon lui, les idées principales du totalitarisme au XXe siècle sont presque toutes directement inspirées de Hegel : nationalisme, marxisme, fascisme. Pour notre part, nous nous contenterons de souligner l’apport original de Hegel à deux grandes idées constitutives de la pensée moderne et contemporaine, de droite comme de gauche : l’historicisme et l’étatisme. L’historicisme L'historicisme est une doctrine philosophique qui affirme que les connaissances, les courants de pensée ou les valeurs d'un

De l'antilibéralisme primaire chez les intellectuels et certains catholiques (normaliens)

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Mon cher ami Kaplan, avec qui j'ai eu d'excellents échanges par blogs interposés, vient de publier un article auquel je suis particulièrement sensible. Il rappelle utilement à tous les ayatollahs qui se réclament de l'abbé Lacordaire (XIXe siècle), sans l'avoir lu et en s'appuyant sur wikipedia, que celui-ci ne fut pas l'antilibéral qu'ils se plaisent à décrire. Je cite Kaplan :  " Le Révérend-Père Lacordaire se méfiait des gouvernements humains... il considérait que la propriété privée des moyens de production était un droit consacré par l’Évangile et qu’en priver un homme revenait à le réduire à l’état d’esclave... il s’opposait vigoureusement aux idées collectivistes dont il pressentait déjà le potentiel de dérive autocratique... il se prononçait contre toutes formes de redistribution autoritaire des richesses, plaidait pour une société fondée sur le libre-consentement et fut un ardent défenseur de la liberté religieuse, de la liberté de l’en

Les sophismes de la parabole des Tuileries

Jérémie Rostan, un collègue professeur de philosophie et d'économie dans un lycée international à San Francisco, réfute   les nombreux sophismes contenus dans cette parabole   ( 24HGold )  : La     «  parabole des Tuileries  »   récemment exposée sur le site du   Monde , a connu un grand succès sur l'internet. Et on comprend pourquoi : elle justifie une opinion courante (l'État doit subventionner la culture), et cela d'une manière très accessible, mais apparemment fondée sur des arguments économiques. De ce fait, elle n'est pas seulement     «  sachante  », mais semble en outre offrir des armes pour prendre les partisans du marché et pourfendeurs de la dépense publique à leur propre piège. Pour séduisante qu'elle soit, elle n'en est pas moins trompeuse. Avant de la critiquer, rappelons ses trois arguments. D'une part, la culture ferait exception à la loi de la  « valeur marginale décroissante » : plus on « consomme » de culture, plus on y pr

De Thomas d'Aquin à Locke, la réflexion sur les limites de l'Etat

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Avec la crise actuelle de l’État, les démocraties occidentales sont en train de réaliser que la chute du communisme n’a pas résolu tous leurs problèmes. Le temps est venu pour elles de repenser la place et les limites de l’État. Pour cela, rien ne vaut un détour par les pères fondateurs de la pensée occidentale. Aux XVe-XVIe siècles, les disciples de Thomas d’Aquin, proches de l’Université de Salamanque en Espagne, furent les véritables fondateurs du libéralisme : Vitoria, Suarez, Mariana, Molina, Lessius... Tous ces auteurs affirmèrent que les hommes possèdent des droits naturels qui précèdent la société politique, légitimant ainsi l’établissement d’un État limité, chargé de veiller au respect de ces droits fondamentaux. Thomas Jefferson est un héritier de la tradition antique et médiévale du droit naturel. Dans la Déclaration d'Indépendance, il écrit : « Nous tenons ces vérités pour évidentes, que tous les hommes sont créés égaux, qu'ils sont dotés par leur Créateur de

Dissertation : sciences de la nature et sciences humaines

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Un des mes élèves de terminale m'a aimablement autorisé à publier sa dissertation sur le sujet : Les sciences humaines peuvent-elles être des sciences exactes ? Vous trouverez cette (très) bonne copie sur le site cours-de-philosophie.fr Introduction A partir du XIX° siècle, les économistes, les anthropologues, les historiens, les psychologues, les ethnologues et les sociologues n’ont cessé de revendiquer une place au panthéon des sciences qu’on leur refusait jusqu’alors. Alors que les mathématiques, l’astronomie ou la physique étaient déjà étudiées depuis l’Antiquité, les sciences humaines se veulent des sciences nouvelles et redoublent de rigueur expérimentale pour prouver leur caractère scientifique. Tous ces domaines d’étude modernes forment les sciences humaines qui se distinguent de la philosophie ; ce sont plus précisément les disciplines scientifiques qui s’intéressent aux aspects sociaux des activités humaines. Néanmoins, on les a souvent négligées en raison de leur

Qui sont les libertariens ?

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Par Damien Theillier  Saviez-vous que Jimmy Wales, l'inventeur de Wikipédia, est un libertarien ? Il assure qu'il a conçu son encyclopédie sur le modèle de l'ordre spontané du prix Nobel d’économie Friedrich Hayek et se dit grand lecteur d’Ayn Rand[1]. Il en va de même pour les concepteurs de South Park ou des Simpson : la romancière et philosophe Ayn Rand apparaît régulièrement dans les épisodes de ces séries de cartoons. Dans  Libertarianism : A Primer  [Abécédaire du libertarianisme, non traduit en français], David Boaz, vice-président du Cato Institute , un influent think tank libertarien, définit le libertarianisme comme « l’idée que chacun a le droit de vivre sa vie comme il l’entend tant qu’il respecte les droits d’autrui, qui sont les mêmes que les siens. »  Longtemps marginalisés sur la scène politique américaine, les libertariens ont aujourd’hui le vent en poupe. Dans leur viseur : l’Etat fédéral et l’administration Obama. Lors d’un sondage Gallup réa

Huntington vs Fukuyama. Retour sur le choc des civilisations.

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Le 4 février dernier, nous avons assisté à une nouvelle controverse à propos des civilisations. Lors d'un colloque organisé par le syndicat étudiant de droite Uni, le ministre de l'Intérieur Claude Guéant avait déclaré : « Contrairement à ce que dit l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l'humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l'égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique. » Pour certains, la comparaison des civilisations est synonyme de hiérarchisation des peuples. Un discours inacceptable. Pour d’autre, le fait de mettre toutes les civilisations sur un même pied d’égalité est synonyme de relativisme. Tout aussi inacceptable. Peut-on sortir de l’opposition entre un universalisme occidental, aveugle à la richesse variée des culture