La guerre des mémoires


Emission sur France Culture : L'Arménie et les lois mémorielles

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Quelles limites les mémoires vives, portées par des communautés, peuvent-elles légitimement imposer aux historiens au nom d’une réécriture de l’histoire ?
Faut-il sanctuariser légalement une version définitive de l’histoire, afin de préserver la sensibilité des survivants et de leurs descendants ?
Quels sont les risques de voir l’histoire se transformer en un tribunal du passé, plaquant de manière anachronique des jugements inspirés par l’état actuel de nos sensibilités - sur des faits dont la logique profonde nous échappe de plus en plus ?

Revue de Presse

« Aujourd’hui, des mémoires particulières protestent en estimant qu’il ne leur est pas fait place dans l’Histoire. Mais il se trouve que la vertu de l’Histoire, c’est justement de se dégager des particularismes des mémoires, pour considérer le passé de façon plus large, en prenant en compte la multiplicité des points de vue. L’Histoire est l’apprentissage de la complexité ».

René Rémond (il a publié cette année : Quand l’Etat se mêle de l’Histoire, éd. Stock, coll. Les essais.)

"La concurrence des mémoires victimaires a eu pour effet de compromettre l’effet attendu de la loi Gayssot. L’intention était de combattre un négationnisme qui était une expression nouvelle de l’antisémitisme. En fait elle a favorisé un autre antisémitisme que répand Dieudonné, un antisémitisme de frustrés. Il est notable en effet que nombre des actions en justice de ceux qui revendiquent au nom de leurs souffrances oubliées visent des personnalités ou des journalistes juifs. La loi en question était supposée exprimer et cimenter un consensus national, son effet à terme a été de déchirer celui-ci selon une ligne inquiétante."

Note de Paul Thibaud sur les lois historiennes et sur la pénalisation des opinions aberrantes
vendredi 28 Avril 2006

La liberté de débattre

[Pétition publiée par Marianne, le 24 décembre 2005]

La France, du moins ceux qui la dirigent ou la régente, succombe à un singulier idéalisme, non plus celui qui se satisfait de proclamer des principes, mais celui de la contrition et de l’épuration. On veut croire qu’en interdisant l’expression des mauvaises idées et en légalisant la vérité on assainira les mentalités et on se mettra à l’abri du pire. On imagine qu’en remplaçant l’idée d’une France inventant la liberté moderne par la commémoration de nos fautes, on dégagera un avenir. En fait nous voyons que la liberté, le civisme, la vérité sont ensemble perdants quand on essaie de gouverner la pensée, de pasteuriser la démocratie.

Les lois contre le négationnisme, pour la reconnaissance du génocide arménien, de l’esclavage et de la traite, aussi bien que sur les mérites de la colonisation française, débordent le domaine de la loi tel que défini par l’article 34 de notre constitution. Plus généralement, le devoir des politiques est d’assurer l’avenir de la nation, non de fixer en dogmes son histoire. Certes, pour gouverner un peuple il faut connaître son passé et en tenir compte, il faut s’appuyer sur une conscience historique commune tout autant que sur une moralité commune. Mais le pouvoir ne saurait régler, encore moins arrêter, les perpétuels réaménagements de la conscience collective, le travail de la mémoire, le dialogue continué avec le passé qui est indissociable de l’exercice des libertés publiques, dans la vie politique, dans la littérature, dans l’historiographie. L’incitation au crime relève des tribunaux, il n’en va pas de même des opinions aberrantes. Celles-ci on les réfute ou on les dénonce. Quand on ne fait pas confiance à la liberté de débattre, le mot de république perd tout sens. C’est pourquoi nous demandons l’abrogation de toutes les lois (Gayssot, Taubira, Accoyer...) qui ont pour objet de limiter la liberté d’expression ou de qualifier des événements historiques.

Quelles qu’aient pu être leurs justifications particulières, leurs vertus immédiates, ces interventions ont produit un enchaînement dangereux. Par moralisme et désir de se mettre à l’abri de tout reproche, nos politiques ont ouvert la voie à des demandes successives de pénalisation et à la sanctuarisation des mémoires particulières. Le morcellement qui en résulte de la mémoire nationale favorise des durcissements et des affrontements dont nous voyons les prodromes. C’est au contraire d’un travail de vérité et de compréhension qui porte sur toute notre histoire que nous avons besoin. Ceci exige que la liberté de débattre soit pleinement rétablie.

Signataires :Elie Barnavi, Alain Besançon,Rony Brauman,Jean Daniel, Philippe De Lara,Vincent Descombes, Jacques Donzelot, Michel Fichant, Elisabeth de Fontenay, Max Gallo, Marcel Gauchet, Pierre Grémion, Jean-Claude Guillebaud, Anne-Marie Le Pourhiet, Jean-Pierre Le Goff, Elisabeth Lévy, Pierre Manent, Michel Marian, Abdelwahab Meddeb, Edgar Morin, Krzystof Pomian, Pierre Nora, Philippe Raynaud, Paul Thibaud

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