Penser l'islam




Comme beaucoup, je suis absolument consterné par ce qui arrive à mon collègue Robert Redeker et je ne peux que déplorer le silence médiatique et politique qui entoure sa condamnation.

Mais pour éviter de rester dans la tristesse et la peur je voudrais signaler quelques références de fond à propos de l'islam, capables de nourrir une réflexion calme et lucide.

Abdelwahab Meddeb enseigne la littérature comparée à l'université Paris X-Nanterre et anime l'émission « Culture d'islam », sur France Culture.

Dans son ouvrage "La maladie de l’islam", Paris, coll. Points Seuil, Essais, 2002, il éclaire les circonstances historiques qui ont conduit l'islam à fermer les portes de l'interprétation et à rejeter toute tentative de synthèse entre rationalité hellénique et foi musulmane. Les mutazilites soutenaient que la raison humaine est capable de faire la distinction entre le Bien et le Mal. Ils se fondaient sur la philosophie grecque. Au Xe siècle, cette vision fut déclarée incompatible avec la puissance et la volonté absolue d’Allah: les vérités morales ne sont établies que par Allah et ne peuvent venir à notre connaissance que par la révélation. Toute approche rationnelle de la morale fut déclarée hérétique par l’imam al-Ash’ari, fondateur de la doctrine sunnite. Ce dernier réhabilitera aussi la thèse du Coran éternel et incréé niée par les mutazilites. L'acharisme fut ensuite repris et popularisé par Abû Hamid Al-Ghazali (mort en 1111), défenseur du dogme de la fermeture des « portes de l’interprétation ».

Roger Arnaldez (professeur à la Sorbonne, auteur de "l'homme selon le coran"), dans son article sur le Mutazilisme paru dans "les textes fondamentaux de la pensée en Islam", numéro spécial du Point, novembre-décembre 2005, p.37 dit ceci :

"A partir du milieu du XIe siècle, la théologie sunnite, plus conforme à la lettre de la révélation, l'avait définitivement emporté".

A lire : L’ISLAM, UNE RELIGION CONQUERANTE ? (Discours de Roger Arnaldez à l'Académie des Sciences Morales et Politiques en 1994)
http://www.asmp.fr/travaux/communications/1994/arnaldez.htm

Lors de sa communication, voici ce que disait Roger Arnaldez :

« La question précise est non pas de savoir si on peut appeler l’islam conquérant parce qu’il a fait des conquêtes, mais s’il est essentiellement conquérant, ou encore s’il relève de sa nature propre, de conquérir ».

Son texte est dense, il met en rapport le Coran et les hâdith avec l’histoire de l’islam des premiers siècles de l’Hégire, celle des Arabes bédouins du Hedjaz convertis à la nouvelle religion par le prophète Muhammad. Il explique la lente formation juridique de la conception religieuse du jihâd et étudie « la question du point de vue de l’image que l’islam, par ses docteurs, par sa politique et par ses activités, a donné de lui-même dans le passé ».

Voici la fin de sa communication. On y trouve une réponse nuancée mais sans ambiguïté :

"Pour terminer sur un cas particulier mais très significatif qui peut servir d’exemple, il est certain, à la suite de ce que nous venons de voir, que la création dans notre pays d’un centre d’études bouddhiques a une signification tout autre que la création d’un centre d’études musulmanes. Un penseur indien Mohammad Manzur Nomani, dans un livre en anglais intitulé Islamic Faith and Practice, déclare qu’il n’y a pas d’alternative à la reconnaissance de l’idéal d’une domination théocratique islamique. Cet idéal doit être réalisé par les musulmans dans les pays où ils ont la force. Quant à ceux qui vivent dans des pays non musulmans, l’auteur écrit : « Ils ne peuvent que chercher sincèrement et sérieusement, dans les limites de ce qui est faisable, à engager la société dominante ou des groupes influents à intégrer dans leur système politique autant d’idées musulmanes qu’il est possible ». Curieusement donc, alors que les pays européens se demandent comment intégrer les musulmans qui vivent sur leur sol, Mohammad Manzur Nomani pense que ce sont au contraire ces pays qui doivent intégrer dans leurs lois et leurs coutumes, le maximum d’éléments musulmans. C’est ce qu’il faut savoir.
Si ce genre de conquête n’est pas le fait des armes, elle n’en est pas moins le fait d’une volonté, non seulement de convertir des individus, ce qui est normal, mais de prendre pied et position dans la vie sociale et politique des pays de l’ancien Dâr al-harb. Il n’est plus alors question de jihâd armé, moins encore de terrorisme, mais d’un projet de conquête insinueuse qui n’en est pas moins une conquête. Néanmoins, ici encore, l’auteur ne représente que lui-même. Nous ne devons rien conclure hâtivement de ce qu’il écrit. Mais, répétons-le, de tels textes nous invitent à ne pas relâcher notre attention et à rester prudents."
Roger Arnaldez était membre de l’Académie des Sciences morales et politiques, décédé le 7 avril 2006, à Paris, à l’âge de 94 ans. Professeur émérite à l’Université de Paris-IV Sorbonne, philosophe de formation, auteur d’une trentaine d’ouvrages portant sur l’islam, la philosophie médiévale et la pensée d’Averroès, il fut l'un des meilleurs connaisseurs français de l'islam.


Enfin, signalons un classique : la biographie de Mahomet par Maxime Rodinson, l'auteur cité par Robert Redeker. On peut aussi se reporter à l'article Mahomet de l'Encyclopédia Universalis.

Maxime Rodinson, né à Paris en 1915, est l'un des maîtres contemporains des études islamiques et de la sociologie des religions. Il a été directeur d'études à l'École pratique des hautes études, où il a enseigné l'éthiopien et le sudarabique anciens et l'ethnologie du Moyen-Orient.


Commentaires

Anonyme a dit…
Qui est Mohammad Manzur Nomani, et que représente-t-il ?

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