Aron nous manque...

« Entre la tentation totalitaire et les aspirations libérales, la bataille continue, elle se poursuivra aussi loin devant nous que porte notre regard. Les libertés dont nous jouissons gardent la fragilité des acquis les plus précieux de l’humanité »
Citation figurant sur la 4ème de couverture du n° de Commentaire qui lui est consacré.

En ces temps de grands bouleversements politiques pour la France, Aron nous manque. Comment aurait-il analysé les émeutes de novembre 2005, la montée de l'islamisme, le non à la constitution, la fin du gaullisme et l'effondrement de la gauche soixantuitarde ?

Il fut l'un des rares intellectuels à échapper à l'aveuglement idéologique qui infecta l'Europe, depuis la montée du fascisme jusqu'à la chute du mur de Berlin.
Il a toujours considéré la liberté individuelle comme un bien supérieur à l'Etat, à la race et à la classe. Et il fut souvent bien seul à défendre cette position.
Aron, c'est le refus des attitudes compassionnelles, du sentimentalisme facile, de la dégoulinade des émotions qui empêchent de penser.

Sur l’homme il ne nourrissait pas de grandes illusions lyriques. On peut résumer sa position par une de ses formules « l’homme est un être raisonnable mais il n’est pas démontré que les hommes soient raisonnables ».

De l’histoire il avait une vision shakespearienne : l’histoire est un tumulte insensé plein de bruit et de fureur. Elle a toujours entremêlé l’héroïsme et l’absurdité, des saints et des monstres, des progrès incomparables et des passions aveugles. Aron savait que l’histoire est tragique.

De la politique il avait une conception très réaliste : "tous les combats politiques sont douteux. Ce n’est jamais la lutte entre le bien et le mal. C’est le préférable contre le détestable."
Il en déduisait qu’"avoir des opinions politiques ce n’est pas avoir une fois pour toute une idéologie. C’est prendre des décisions justes dans des circonstances qui changent."


Aujourd'hui on peut lire son biographe et disciple, Nicolas Baverez.
On peut aussi lire sa fille, Dominique Schnaper, sociologue de grand talent et membre du conseil constitutionnel. On peut encore écouter une série d'émissions consacrées au philosophe sur France Culture.
Mais le mieux, c'est surtout de relire Aron lui-même, dans ses oeuvres.
J'ai mis sur mon site les dernières pages de ses Mémoires et je conseille tout particulièrement la lecture du livre Le Spectateur engagé. Entretiens avec Jean-Louis Missika et Dominique Wolton, Le Livre de Poche (Sciences politiques), Janvier 2005, 465 p., 8.50 €.
Ce livre est une retranscription d'une émission télévisée enregistrée en janvier 1981, disponible en DVD. Chaque fin d'année, je passe à mes élèves ce documentaire :

Deux jeunes gens de la "génération mai 68", Jean-Louis Missika et Dominique Wolton, interrogent le philosophe.
En évoquant sa vie, c'est le portrait du 20ème siècle que Raymond Aron dresse, avec une acuité et une intelligence éblouissantes. Hitler, le Front populaire, la défaite de 40, la Guerre froide, la décolonisation, la Ve République et le Gaullisme, Mai 68, la construction européenne mais aussi la liberté, l'égalité, le droit et la politique, sont analysés par celui qui avait eu "raison avant tout le monde".

Voir un extrait du DVD ici (sur mai 68)

Chapitres :
1- La France dans la tourmente (1930-1947) - 52 mn
- Allemagne, 1930-1933 : un philosophe découvre la politique
- Années trente, la France en décadence
- Le désastre de 1940. Les français entre Pétain et De Gaulle
- La Shoah et Israël. "Je me considère comme un survivant"
- 1945, un monde nouveau ? Vers la Guerre Froide
- Espoirs et déceptions de l'après-guerre en France

2- Démocratie et totalitarisme (1947-1967) - 52 mn
- Guerre froide ou paix belliqueuse ?
- Raymond Aron, compagnon de route du Gaullisme
- Défendre des valeurs aux temps des idéologies
- La France à l'épreuve de l'Algérie
- Espérer la paix, penser la guerre

3- Liberté et raison (1968... ) - 52 mn
- Mai 68 et "le carnaval des étudiants"
- Gauchistes, communistes et socialistes
- "L' Histoire est tragique"
- Démocraties et totalitarismes : Occident, Chine, URSS...
- Les droits de l'homme et l'essence de la politique
- Raymond Aron, spectateur engagé

Citations :
« J’aime le dialogue avec les grands esprits et c’est un goût que j’aime répandre parmi les étudiants. Je trouve que les étudiants ont besoin d’admirer et comme ils ne peuvent pas normalement admirer les professeurs pque les professeurs sont des examinateurs ou pqu’ils ne sont pas admirables, il faut qu’ils admirent les grands esprits et il faut que les professeurs soient précisément les interprètes des grands esprits pour les étudiants » Aron

"On améliore pas le sort des hommes à coups de catastrophes, on ne promeut pas l’égalité par la planification étatique, on ne garantit pas la dignité et la liberté en abandonnant le pouvoir à une secte à la fois religieuse et militaire. Nous n’avons pas de chanson pour endormir les enfants. » (l’Opium des intellectuels, p.302)
Vidéos :

Extrait1 d'une émission en noir et blanc (ORTF, 1969)
Extrait2 (sur la crise de civilisation)
Extrait3 (sur la société de consommation)
Aron en 1974 (sur la violence contestataire)
Aron en 1981 avec Mourousi sur l'actualité internationale (le terrorisme, Israël, Jean-Paul II...)


Lire ici mon article sur Aron pour le centenaire de sa naissance (1905)
Un article de JF Chanlat sur : R. Aron, itinéraire d'un sociologue libéral ici

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