Conservatisme et progressisme
La gauche vient de subir une nouvelle défaite, une défaite historique, écrasante.
La victoire de Nicolas Sarkozy apparaît de son côté comme la victoire d’une droite décomplexée, libérée de la repentance et de la culpabilité imposée par la gauche depuis tant d’années. Le 12 avril dernier, à Toulouse, il affirmait : « Si je suis élu président, tout ce que la droite républicaine n’osait plus faire parce qu’elle avait honte d’être la droite, je le ferai. » Chirac fut l’incarnation de cette mauvaise conscience de droite, de cette fausse droite, qui trahit ses électeurs. Il porte lui aussi une lourde responsabilité dans l’immobilisme et la régression du pays. C'est pourquoi le programme de rupture porté par Sarkozy a entraîné une immense adhésion, bien au-delà de son propre parti.
C’est pourquoi aussi les notions traditionnelles de droite et de gauche s’en trouvent bouleversées. La gauche est historiquement du côté du progressisme et la droite du côté du conservatisme. Or paradoxalement, ce programme de rupture fait basculer le progressisme dans le camp de la droite, qui devient désormais le camp du changement, de la réforme, de l’innovation. Inversement, la gauche s’est repliée sur un programme de défense des avantages acquis et du « modèle social français », de résistance à la mondialisation, à la flexibilité du travail, à la réforme des retraites... L’avenir lui fait peur, elle veut retourner à de vieux modèles du siècle passé.
Selon Hayek le conservatisme peut facilement devenir l’alibi de l’immobilisme et se retourner contre la liberté.
« Le libéralisme n'est hostile ni à l'évolution ni au changement; et là où l'évolution spontanée a été étouffée par des contrôles gouvernementaux, il réclame une profonde révision des mesures prises. Si on considère l'essentiel des actions politiques aujourd'hui dans le monde, on peut dire que ces actions donnent à un libéral bien peu de raisons de vouloir conserver les choses en l'état. Et qu'elles lui donnent plutôt le sentiment que le plus urgent serait un peu partout de balayer les obstacles à la libre croissance. (…) La résistance commune à la marée collectiviste ne devrait pas jeter dans l'ombre le fait que la foi dans la liberté intégrale se fonde essentiellement sur une attitude de préparation de l'avenir, et non sur un attachement nostalgique aux temps révolus, ou sur une admiration romantique pour ce qui a été. » (Pourquoi je ne suis pas un conservateur)
Ainsi donc, il y a deux sortes de conservatismes et la différence entre un conservatisme de droite et un conservatisme de gauche, c’est le libéralisme. Le conservatisme de gauche n’est qu’une réaction anti-libérale et anti-américaine, marquée par le pessimisme social. Certains socialistes, il est vrai, (dont Madame Royale, avant d'entrer en campagne) lorgnent sur le social-libéralisme de Tony Blair et aimeraient bien s’en inspirer en France, au sein du parti socialiste. Mais ils oublient que Blair n'aurait rien pu faire sans l'héritage de Margaret Tatcher. C'est elle qui a réformé l'Angleterre, avec un courage politique hors du commun et a remis le pays sur les rails de la croissance. Or aujourd'hui encore, elle passe aux yeux de l'opinion française pour la pire des fascistes.
De son côté, le conservatisme de droite a longtemps été réactionnaire, porté par un courant maurassien anti-libéral. Réactionnaires et libéraux sont séparés par un profond clivage philosophique. Les libéraux acceptent par réalisme une souveraineté populaire limitée que les réactionnaires refusent par principe.
C’est pourquoi la vraie droite, libérale et conservatrice, a échoué en France. (cf. François Huguenin, Le conservatisme impossible, libéraux et conservateurs en France depuis 1789, La table ronde, 2006).
La victoire de Sarkozy sonne-t-elle la fin de cette malheureuse exception française ? Le style « parler vrai » de Sarkozy et son programme de « rupture » ne sont pas sans rappeler la révolution conservatrice de Reagan dans les années 80, imitée par l'Angleterre, l'Espagne, la Pologne... Le président Sarkozy réussira-t-il une révolution conservatrice à la française ? Pourra-t-il créer une vraie droite en France associant conservatisme des valeurs et libéralisme efficace ? Un véritable conservatisme, ouvert à l'innovation et au changement, un conservatisme libéral peut-il s'installer durablement en France ? On se prend à rêver...
Le 16 mai, le nouveau président de la France aura 100 jours pour faire ses preuves. Il aura pour lui une forte légitimité populaire mais il aura aussi en face de lui une résistance acharnée, des usagers pris en otage, des émeutes. Il lui faudra briser « la tyrannie du statu quo » imposée par les gardiens du « tout-Etat » : bureaucrates, énarques, fonctionnaires, syndicalistes, assistés sociaux. Après des décennies d’Etat Providence le pouvoir politique a multiplié passe-droits, subventions et exemptions. Ils ont tous intérêt à ce que rien ne change.
(A suivre : la révolution conservatrice américaine, petit rappel historique)
Commentaires
Mais je ne crois pas que Sarko s'inspire des modèles anglais et américains... Il sait bien qu'ils ne sont pas très populaires en France. Cette dernière a le droit de rénover son propre modèle. N'est-t'elle pas une puissance d'équilibre ???
Mais je vais écrire un billet sur le conservatisme pour en montrer les postulats philosophiques. Ils ne sont pas spécifiquement américains. On peut même dire qu'ils sont plutôt européens, chrétiens, grecs et romains !!