De la foi aux USA. Entretien avec un catholique américain.




Entretien avec David Anders* par Damien Theillier.
Birminghma Alabama, le 22 juillet 2010.


* David Anders a obtenu une maîtrise à Trinity Evangelical Divinity School en 1995, et un doctorat d’histoire  de l'Université de l'Iowa en 2002. Sa thèse portait sur l’histoire de la Réforme et en particulier sur Jean Calvin. Il a été reçu dans l'Église catholique en 2003.


David Anders, vous avez été élevé dans la foi presbytérienne par vos parents. Vous avez même fait le séminaire pour devenir pasteur. Comment vit-on sa foi aux Etats-Unis ?

J'ai été élevé dans une Eglise qui se targue d'avoir une origine calviniste. J’ai pratiqué une vie chrétienne épurée, centrée sur la Bible, la spiritualité de la conversion (« born again »), une vie partagée par la plupart des évangéliques. J’avais une grande confiance dans ma religion et dans sa vérité.
Je suis allé dans une école chrétienne, puis un séminaire où j'ai trouvé la même attitude. Baptistes, presbytériens, épiscopaliens ou charismatiques sont tous attachés à l’étude de la Bible, mais en désaccord sur la façon de l'interpréter. Cela dit, nos différences ne nous dérangeaient pas. Les désaccords sur la Bible étaient moins importants pour nous que le fait d’avoir une relation personnelle avec le Christ et de lutter contre l'Eglise catholique. C'est ainsi que nous comprenions notre dette commune à la Réforme.


Pourquoi y a-t-il un tel rejet du catholicisme de la part des protestants américains ? On va même jusqu’à entendre que le Pape est antéchrist !!

Le protestant connaît bien la Bible, il peut citer par cœur les Apôtres, surtout Saint Paul. Donc il y a une grande confiance dans la vérité de la religion protestante. De leur côté, beaucoup de catholiques ne connaissent pas leur religion, ils ne connaissent pas la Bible, ce qui est choquant pour un protestant. C’est une des raisons pour lesquelles les catholiques sont considérés par les protestants comme des païens.
Chez les évangéliques il y a un mythe : c’est que les Eglises protestantes américaines sont le reflet exact de ce qu’était  l’Eglise primitive. Il y aurait donc une continuité quasi parfaite entre l’Eglise primitive et nous. Mais bien sûr, dans cette vision des choses, il y a une occultation complète du Moyen Age qui est considéré comme un âge catholique et donc comme un âge déviant.


Comment alors s’est fait pour vous le passage du protestantisme au catholicisme ?

Après le séminaire à Chicago, j’ai fait mes études à l'Université de l'Iowa pour devenir professeur d’histoire ecclésiastique.  Puis je me suis concentré sur la Réforme. En remontant à Saint Augustin, j’ai été étonné de découvrir qu’il était catholique et qu’il ne croyait pas à cette idée Luthérienne de la justification par la foi. J’ai été bouleversé de comprendre que pas un seul Père de l’Eglise ne croyait à cette doctrine.
J’ai commencé à reconsidérer ma foi protestante. Il fallait réexaminer cette question de l’Ecriture. Pour les protestants, c’est l’Ecriture seule qui fait autorité.  Or cette doctrine n’est pas enseignée par l’Ecriture elle-même. Jésus a dit « croyez en moi » et il a donné autorité aux Apôtres. « Celui qui vous entend, entend ma voix ». Enfin tous les Père de l’Eglise croyaient à la succession apostolique.


Votre doctorat en histoire de la Réforme portait notamment sur Jean Calvin (1509-1564), le réformateur français qui a fait de Genève une ville protestante modèle. Quelle importance a-t-il eu dans votre parcours intellectuel et spirituel ?

J'ai choisi Calvin non seulement en raison de mes antécédents presbytériens, mais aussi parce que la plupart des protestants américains ont un certain rapport avec lui. Les puritains anglais, les Pilgrims Fathers et Jonathan Edwards tous ont été fortement influencés par Calvin. Mes professeurs de collège et de séminaire m’ont dépeint Calvin comme notre maître en théologie.

Curieusement, l’étude de Calvin ne m’a pas conduit là ou je pensais. J'ai découvert que Calvin bouleversait mon approche de l'histoire. J'ai toujours supposé une continuité parfaite entre l'Église primitive, la Réforme et mon Eglise Presbytérienne américaine. Plus j'étudiais Calvin, cependant, plus il me devenait étranger, plus les protestants d’aujourd’hui me semblaient éloignés de lui. Ceci m'a fait remettre en question le scénario typiquement évangélique d’un fil transparent allant de l’Eglise primitive à la Réforme et au christianisme évangélique. Mais que faire si les évangéliques ne sont pas vraiment fidèles à Calvin et la Réforme? Si le fil pouvait se briser une fois, entre la Réforme et aujourd'hui, pourquoi pas plus tôt, entre l'Église primitive et la Réforme ? Avais-je vraiment tenu le bon fil ?


Qu'est-ce que ces découvertes vous ont enseignées sur le protestantisme et le catholicisme ?

Calvin m'avait choqué par son rejet de certains éléments clés de ma tradition évangélique : la spiritualité « born again », l'interprétation privée de l'Écriture. J'ai découvert que ses préoccupations étaient très différentes des nôtres, plus institutionnelles, plus catholiques. Bien qu'il ait rejeté l'autorité de Rome, il n'avait jamais songé à quitter certains aspects de la foi catholique. Il prenait pour acquis que l'Eglise doit avoir une autorité d'interprétation, une liturgie sacramentelle et une seule foi, unifiée.

J’ai découvert que la doctrine de la conversion (« to be born again ») n’était pas conforme à la doctrine du XVIe siècle. Notre foi n’était pas celle de notre fondateur. Aux Etats-Unis, on a introduit l’idée que la vraie foi se manifeste dans la conversion. Et une authentique conversion suppose une crise et une régénération.  « Have you been born again  ? » Si la réponse est non, c’est que vous n’êtes pas un vrai chrétien.
Cette idée de conversion occulte la vie sacramentelle. La seule chose qui importe est la relation personnelle et directe à Dieu. C’est pourquoi les différentes dénominations protestantes sont comme des parfums de glace. Elles se ressemblent toutes malgré leurs divisions. La question de l’autorité est occultée elle aussi.

Ces découvertes m’ont confronté à des questions fondamentales. Pourquoi Calvin traitait-il de ces traits « catholiques » de la foi avec une telle gravité ? Avait-il raison de les croire si importantes ? Et si oui, était-il justifié pour lui de quitter l'Église catholique ? Comment mon Eglise pouvait-elle s'écarter autant du point de vue de son fondateur ? Les réponses à ces questions m’ont conduit à devenir catholique en 2003.

Aujourd’hui, de nombreux protestants américains se convertissent au catholicisme. Comment se manifeste ce phénomène ?

J’ai un cousin qui hésite à devenir catholique ou orthodoxe. Il m’a raconté ceci : « Enfant, je n’avais jamais rencontré quelqu’un qui soit converti au catholicisme. Aujourd’hui j’en vois partout ! » Dans notre paroisse catholique, il y a 2000 fidèles et une centaine de convertis issus du protestantisme.
Scott Hahn est un grand théologien catholique américain actuel. Il était presbytérien comme moi. Le père Richard John Neuhaus, fondateur de First Things, qui est mort l’an dernier, est un converti. Newt Gingrich, le célèbre président de la Chambre des représentants dans les années 90 est un converti. Plus loin, on pourrait citer le cas de Russell Kirk, l’auteur du livre qui a lancé le Mouvement Conservateur dans les années 50 : The Conservative Mind. Tout ceci procède d’une relecture approfondie de l’histoire. Comme le disait le Cardinal Newman dans son Essai sur le développement du dogme :  « To be deep in history is to cease to be Protestant ».


Comment une famille catholique de 5 enfants vit-elle en Alabama ? 

L’Alabama est un Etat très protestant. Les catholiques sont ultra-minoritaires mais aussi, ce sont des catholiques plus sérieux. Nous avons la chance d’habiter à 10 mn de EWTN, la chaine de télévision catholique, et nous voyons passer beaucoup de prêtres, de religieux. Nous avons la messe télévisée tous les matins à 7 heures.
A l’origine, je voulais enseigner l’histoire protestante. Avec ma conversion au catholicisme, j’ai dû reconsidérer les choses. Et puis surtout j’ai décidé d’abandonner le travail académique pour me consacrer à ma famille.
J’ai une vie idéale car elle me permet de concilier mon travail et ma famille. Je suis « trader day » et mes enfants font du « homeschooling ». Certes, j’ai un job stressant car on ne gagne pas à tous les coups en bourse. Mais je travaille à la maison et je peux superviser  les études de mes enfants. Mes fils viennent souvent dans mon bureau pour travailler et me poser des questions.

Comment se passe votre journée ?

Pour nous, la vie commence à 5 heures. Je me lève pour lire les actualités financières. Je regarde aussi les bourses européennes et asiatiques, l'euro, etc.
Souvent, je prie l'office divin (laudes) avec ma femme, ou on se consacre à la Sainte Vierge.  A 7 heures 30 toute la famille va à la messe quotidienne. On a la chance d'avoir une paroisse avec 3 prêtres, et deux messes par jour ! Au retour, on prie le rosaire en famille dans la voiture. A 8 heures 15 je vais dans mon bureau et je m'installe devant 2 ordinateurs avec 5 écrans. Les enfants prennent leur petit déjeuner et commencent leur travail.
Les deux adolescents font leurs travaux plus ou moins seuls. Il s’agit pour eux de lire des livres classiques, d’écrire des essais, et de faire leurs mathématiques. Pour les petits, un travail d'instruction est encore nécessaire et ma femme travaille très dur en ce sens.

Pourquoi avez-vous choisi le homeschooling pour vos enfants ?

Trop souvent, le choix offert en matière d'éducation est piteux. Il y a d'un côté les établissements publics, médiocres ou dangereux, de l'autre des écoles catholiques, devenues souvent des écoles comme les autres, sans véritable identité. Le homeschooling est encore très minoritaire aux USA. Mais il y a deux millions d’élèves et de nombreux programmes mis à la disposition des parents. Aujourd'hui, les familles catholiques se lancent aussi dans cette révolution. 
Pour les études supérieures, il faudra compter environ 30 000 ou  40 000 dollars par an. Avec 5 enfants, il me faudra dépenser environ 500 000 dollars en tout ! Heureusement, on peut facilement emprunter aux USA.


Que pensez-vous des réformes adoptées par Obama, en matière de sécurité sociale, de réglementation financière etc. ?

Je n’ai pas du tout confiance en Obama. Ce que l’on sait de son histoire personnelle avant d’être sénateur nous permet de dire, sans aucune exagération, qu’il est profondément socialiste ou marxiste.
Si on compare son action avec celle de Reagan, au cours des 18 premiers mois de présidence, on peut constater facilement la différence. Reagan avec ses réductions d’impôts a généré les 20 plus belles années de croissance économique de toute l’histoire occidentale. 

De son côté, Obama est le président qui aura réalisé en deux ans la plus forte hausse d’impôts de toute l’histoire des États-Unis. Il dépense l’argent du contribuable comme un adolescent avec sa carte de crédit et ensuite il augmente les impôts pour renflouer les caisses. La réforme de la santé (Obamacare) va entraîner la création ou l’augmentation de plus d’une vingtaine de taxes et d’impôts. Au 1er janvier 2011, les baisses d’impôts votées sous la présidence de George W. Bush en 2001 et 2003 ne seront pas reconduites. Conséquences : le quotient familial va être divisé par deux et le montant d’impôt acquitté par les contribuables dans la tranche la plus basse augmentera de 50%. Ce sont les classes moyennes qui vont s’appauvrir.


On dit souvent que Reagan a beaucoup creusé la dette publique américaine.

Ce n’est pas Reagan qui a creusé la dette, c’est le Congrès.  Aux USA le président n’a pas de pouvoir sur le budget, c’est le Congrès qui détient ce pouvoir. Disons qu’il y a eu un deal entre Reagan et le Congrès : ce dernier a obtenu ce qu’il voulait en échange des réductions d’impôts.


Selon une étude Washington Post/ABC News publiée mardi 13 juillet, 58% des Américains interrogés déclarent qu’ils n’ont "peu ou pas du tout confiance en leur Président pour prendre les bonnes décisions pour l’avenir de leur pays". Et  54% des sondés désapprouvent la politique économique d’Obama. Que pensez-vous du mouvement du Tea Party ?

Le Tea Party est un « grassroot » (de root, la racine), un mouvement populaire de terrain, qui exprime la colère des citoyens contre le pouvoir fédéral, essentiellement en ce qui concerne les impôts. Les électeurs ont le sentiment de n’être pas écoutés par Washington.
Dans ce mouvement, il y a beaucoup de conservateurs mais aussi des gens qui sont plus à gauche sur les questions sociales, des « modérés » comme on dit, même si l’expression est source de confusion car elle laisse penser que les autres sont des extrémistes, ce qui est la tactique de la propagande gauchiste (« liberal propaganda »).
Si la gauche a peur de quelque chose, elle crie à l’extrémisme ou au racisme. Evidemment, si on prend un segment de 1000 américains, il y aura toujours un raciste. Mais dire que les autres le sont, c’est de la propagande classique.


En France on se représente souvent les conservateurs américains comme des populistes racistes et défenseurs des armes à feu.

Aux USA, il y a une ville qui est connue pour être la plus raciste de tout le pays, c’est Birmingham. C’est un mythe qui remonte aux années 60, époque de la ségrégation, de George Wallace. Mais moi, qui suis né à Birmingham en 1970, je n’ai jamais vu de ma vie une milice. Pour moi ça n’existe qu’à la télévision.
Par contre, la question des armes à feu est très importante car le droit de porter une arme est écrit dans la Constitution. C’est peut-être une mauvaise idée (on peut en discuter…) mais dire qu’on ne devrait pas porter d’arme, c’est une attaque contre la Constitution et contre la protection des libertés fondamentales. C’est donc un problème plus large que les armes et qui touche au rôle du gouvernement, à ses limites.

Le républicain Scott Brown a remporté le siège de sénateur de Ted Kennedy pour le Massachusetts l’hiver dernier. Comment interpréter cette victoire historique des républicains ?

C’est une victoire totalement inattendue. Depuis 30 ans ce siège était détenu par la gauche. Mais aux Etats-Unis, l’opinion peut changer d’un coup. Il y a 40% d’électeurs à droite et 40% d’électeurs à gauche qui ne changeront jamais. Mais il y a 20% d’électeurs au milieu qui ne savent pas pour qui voter. C’est pour cela que la propagande marche et que celui qui contrôle les médias contrôle les élections.


Newt Gingrich a eu un rôle national sous Clinton, lorsqu’il est devenu leader de la « révolution républicaine » à la la chambre des représentants, mettant fin à quarante années de majorité démocrate. Cette histoire pourrait bien se reproduire en novembre, avec les élections de mi-mandat. Mais Sarah Palin n’est-elle pas mieux placée pour jouer un rôle national ?

En effet, Newt Gingrich fait beaucoup reparler de lui aujourd’hui. C’est un politicien remarquable mais aussi un intellectuel très fin, titulaire d’un doctorat en histoire. Chaque fois qu’il parle je l’écoute et je l’apprécie. Mais il est détesté par la gauche et par les médias. Il est identifié à l’extrémisme, un peu comme Barry Goldwater en son temps. Les médias ont réussi à lui coller cette étiquette et à créer l’image d’un type détestable. Sa conversion au catholicisme n’a pas arrangé les choses ! Donc il ne pourra plus gagner. Au contraire, Palin est très populaire, malgré les attaques contre sa famille, sa personne, ses relations, son passé. Elle a dû démissionner de son poste de gouverneur de l’Alaska, ce qui est un lourd handicap pour sa carrière politique, mais elle est toujours aussi populaire.

Certes, elle est beaucoup moins intellectuelle que Newt Gingrich. Par contre elle sait parler aux foules, à l’américain moyen, comme savait le faire Reagan. C’est précieux pour faire passer les idées auxquelles nous tenons. Cela dit, il y a un républicain qui monte actuellement et qui récolte beaucoup d’argent (c’est le nerf de la guerre en politique aux USA), c’est Mitt Romney. Il pourrait devenir le futur candidat du parti républicain pour l’élection présidentielle de 2012, même si la base du parti penche pour un candidat plus conservateur.

Lire mon récit de voyage en Alabam 1ère partie et 2ème partie

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