Le christianisme, l'islam et la raison
Vague de menaces et de protestations, après les propos du pape à l'universtité de Ratisbonne. Paradoxe : la violence des menaces proférées par les musulmans à l'encontre des chrétiens dans le monde (déjà une religieuse tuée en Somalie) tend par elle-même à suggérer l'existence d'un lien entre islam et violence. Mais est-ce bien ce que le pape a voulu dire ?
OUI, c'est exactement ce qu'il a voulu dire. Et bien qu'il ait exprimé des regrets de pure forme, ses propos sont sans ambiguïté. En réalité son discours portait sur la distinction entre le christianisme et l'islam dans leur rapport avec la raison. Selon le pape, il y a une différence essentielle entre la conception chrétienne de Dieu qui est intrinsèquement lié à la raison (Le concept grec de Logos) et la conception de l’Islam où Dieu transcende tout (même la raison).
Il cite un universitaire allemand d'origine libanaise, le professeur Khoury, selon lequel "pour la doctrine musulmane, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n'est liée à aucune de nos catégories, pas même à celle de la raison". Dans une vision islamique, « Dieu est absolument transcendant » et « rien ne l’obligerait à nous révéler la vérité ». Cette déconnexion de Dieu et de la raison pourrait même aller jusqu’à l’absurde : « Si cela correspond à la volonté divine, l’homme pourrait pratiquer aussi l’idolâtrie. »
Or une autre compréhension de Dieu, celle issue de la tradition grecque, conduit à penser que "Dieu agit avec Logos". Que signifie ce terme grec employé par Saint Jean au début de son Evangile pour nommer Dieu ? "Logos, rapelle le pape, signifie à la fois raison et parole — une raison qui est créatrice et capable de se transmettre mais, précisément, en tant que raison." En effet, le christianisme est né de la rencontre entre la Bible et le rationalisme de la philosophie grecque. Ainsi pour Benoît XVI, "le patrimoine grec, purifié de façon critique, ferait partie intégrante de la foi chrétienne."
Tel n'est pas le cas de l'islam. En islam, un musulman n'a pas le droit de se convertir au christianisme sous peine de mort. Benoît XVI en tire une leçon : chrétiens et musulmans n'ont pas la même conception de Dieu. D'ou la citation de l'Empereur Manuel II :
« Dieu n'apprécie pas le sang — dit-il —, ne pas agir selon la raison , “sun logô”, est contraire à la nature de Dieu. La foi est le fruit de l'âme, non du corps. Celui, par conséquent, qui veut conduire quelqu'un à la foi a besoin de la capacité de bien parler et de raisonner correctement, et non de la violence et de la menace... Pour convaincre une âme raisonnable, il n'est pas besoin de disposer ni de son bras, ni d'instrument pour frapper ni de quelque autre moyen que ce soit avec lequel on pourrait menacer une personne de mort...».
Tout ceci n'a rien de bien nouveau. Benoît XVI ne fait que rappeler une doctrine que les chrétiens n'ont pas toujours eux-mêmes respecté (les croisades) : rien ne peut justifier le crime au nom de Dieu. La guerre sainte n'est pas légitime. On ne peut faire l'économie de la raison et du dialogue. Mais ce qui est nouveau, c'est que le pape se permette d'exprimer clairement son désaccord avec l'islam. C'est un tabou fondamental qui est levé. Jusque là, l'Eglise s'était murée dans le silence. On avait reproché à Pie XII son silence, on ne pourra pas faire le même reproche à Benoît XVI.
Bien entendu, les islamistes ont trouvé là un pretexte de plus pour justifier leur guerre contre l'Occident. Qui sont-ils ces islamistes ? De mauvais musulmans ? Non, des fondamentalistes, c'est-à-dire des purs et durs. Ils revendiquent le retour aux préceptes fondamentaux de l'islam et manifestent ainsi au grand jour sa vraie nature : soumission (c'est la traduction du mot islam) de tous les peuples de la terre à la charia, à la loi islamique.
Ce pur islam des islamistes est donc incompatible avec une forme quelconque de laïcité, de liberté religieuse ou de simple respect pour les autres sensibilités religieuses. D'où sa violence endémique, même et surtout à l'égard de tous les musulmans suspects de faiblesse, de tiédeur à l'égard de l'Occident. Car bien heureusement, tous les musulmans ne sont pas fondamentalistes et beaucoup aspirent à un islam pacifique, tolérant. Mais c'est justement là le problème, ils passent toujours aux yeux des fondamentalistes pour des traitres, des mauvais musulmans.
Contre le fanatisme, il faut maintenir le lien entre raison et foi. C’est la condition pour établir un « vrai » dialogue entre les cultures et les religions.
Lire mon article : Le philosophe et le pape (à propos de l'élection de Benoît XVI)