Europe : la tentation de l'ataraxie

L'écrivain et philosophe Pascal Bruckner s'exprimait récemment dans Le Figaro (9 juillet 2005) sur la nature véritable du terrrorisme :

"Pour les néotiers-mondistes, le terrorisme est une arme des pauvres – une riposte de «damnés de la terre». Pour d'autres, qui le médicalisent, c'est une pathologie pure. L'une et l'autre de ces grilles interprétatives ont un inconvénient majeur : celui de confondre la cause et le prétexte du terrorisme. Sans doute la guerre en Irak ou en Afghanistan, l'existence du conflit israélo-palestinien ou le procès de tel ou tel chef djihadiste en Angleterre peuvent-ils fournir, tour à tour, un prétexte commode à des actes terroristes. Mais la cause ultime de tels actes, ce n'est jamais que la haine viscérale qu'un certain nombre de petits groupes ultrafanatisés, tributaires d'une interprétation extrêmement restrictive du Coran, vouent au principe même d'une société ouverte et à toute esquisse de libéralisation dans le monde arabo-musulman."

Bruckner distingue ici la cause et le prétexte du terrorisme. Nous confondons souvent les deux en cherchant à comprendre le terrorisme. Et ce faisant, nous tombons dans le piège rhétorique tendus par les djihadistes. Ces derniers sont passés maîtres dans l'art de jouer les victimes, les "damnés de la terre", enrôlant les palestiens dans cette manipulation.
En réalité, la haine de la modernité ou de la liberté est bien la cause du terrorisme, ou encore sa raison d'être.

Pascal Bruckner ajoute :
"En succombant à la tentation d'«accuser d'abord l'Amérique», selon la formule de Michaël Walzer, une partie de l'opinion ouest-européenne croit se défausser à peu de frais de ses crimes passés sur l'impérialisme yankee. Ce faisant, elle glisse vers des modes de raisonnement qui sont ceux d'un pays du tiers-monde. Comme si notre fameuse «politique arabe» nous protégeait de l'hostilité déchaînée que les djihadistes vouent à la démocratie en tant que telle ! (...) Nous avons tendance à faire entendre un discours officiel dont les maîtres mots sont «tolérance» et «dialogue», une sorte de vaste rhétorique de l'«apaisement» qui, pour un peu, finirait par nous persuader nous-mêmes que nous n'avons aucun ennemi – seulement des «défis» – et que, contrairement aux Américains, nous n'avons aucune raison de voir dans le terrorisme une adversité radicale et inquiétante. Ce n'est même pas la tentation de l'innocence, c'est la tentation de l'ataraxie !"

L'Europe serait-elle devenue stoïcienne ? La rhétorique de l'apaisement fait en effet penser à cette sagesse antique. Pour les stoïciens, quand tout va mal, il faut s'adapter et tenter de réformer son propre jugement. Au fond le mal véritable provient moins de l'extérieur que de nos opinions sur les choses. C'est pourquoi l'indifférence au monde extérieur est la clé de l'apaisement, de l'ataraxie (paix de l'âme). Pour Sénèque, "le sage est toujours satisfait de ce qu'il a". Le bonheur naît du renoncement à désirer, c'est-à-dire à espérer autre chose que ce que l'on a.

Une telle sagesse a incontestablement des vertus à l'échelle de l'individu. Mais que vaut-elle à l'échelle d'une collectivité ou d'un continent ? Car s'adapter, réformer son jugement, renoncer à désirer, n'est-ce point se soumettre ? Nietzsche fustigeait cette "philosophie d'esclave" dont la sagesse n'est que l'alibi de l'impuissance. L'attitude néo-stoïcienne de l'Europe face au terrorisme n'est-elle pas l'attitude d'une société vieillie, fatiguée, blasée, qui n'a plus la force de se battre ?

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