Le messianisme de Marx


Une nouvelle biographie de Marx vient de sortir, écrite par Jacques Attali : KARL MARX OU L’ESPRIT DU MONDE. Fayard, 537 p., 23 €.

Je relève quelques passages d'un entretien entre l'auteur et Alain Minc dans Le Figaro du 27 juin à propos de la pertinence de Marx aujourd'hui.

Jacques Attali : « Comme interprète extralucide du devenir argent de toute chose, Marx a développé des prophéties qui se vérifient chaque jour. Il a eu l'intuition que le capitalisme progresserait irrésistiblement vers un processus de mondialisation, tout en conduisant à des concentrations, non, certes, à des monopoles, mais à des oligopoles assez nombreux dans des secteurs tels que la banque, l'assurance, l'automobile. Il a vu ce que serait l'aliénation par le travail et par la consommation, qu'il nomme «fétichisme de la marchan dise». Il a affirmé que le socialisme était impossible dans un seul pays, en particulier en Russie, et, plus largement, dans toute société marchande. Pour lui, le socialisme sera mondial et viendra après le capitalisme. (…) Le système de pensée de Marx s'applique beaucoup mieux au monde entier qu'aux évolutions individuelles de chacun des pays. De ce point de vue-là, la pensée de Marx devient d'une frappante actualité. C'est, ironiquement, la fin du système soviétique, qui en rendant possible la mondialisation, fait de Marx le grand penseur du nouveau siècle. »

Alain Minc : « Je serais sans doute plus sceptique que Jacques Attali, qui conserve cette foi enthousiaste grâce à laquelle il trouve la force de rebâtir une prophétie. Une prophétie où, à la fin des fins, la communion des saints se réaliserait dans le dépassement du capitalisme.

Minc me semble en effet plus clairvoyant qu'Attali. Au moment ou nous fêtons le centenaire de la naissance de Raymond Aron, il est bon de rappeler ce que disait ce dernier à propos du marxisme dans son Introduction à la philosophie politique : "une fois qu'on a déterminé que l'origine fondamentale des maux est la propriété privée et, en second lieu, une fois qu'on a démontré que le capitalisme va à sa destruction, mais que c'est très bien ainsi puisque, après la révolution, il y aura la société sans classes, alors on glisse volontiers à ce que j'appelle le millénarisme, c'est-à-dire l'acceptation presque satisfaite des luttes et des catastrophes qu'amène avec lui le capitalisme, parce que ces catastrophes seront fécondes. C'est ce que j'appellerai l'optimisme catastrophique: plus il y a de catastrophes capitalistes, mieux cela vaut, parce que c'est par les catastrophes que se réalisera la société sans classes. "

Je note qu'Attali a retenu la leçon. Il écrit lui-même :
« Au XIXe siècle, au moment où le positivisme apparaît, la seule religion nouvelle est une téléologie fondée sur l'idée d'une catastrophe rédemptrice. (...) Dans la société capitaliste, telle que vue par Marx, l'aggravation des souffrances infligées au prolétariat et le basculement progressif de tous les bourgeois dans le prolétariat rapprochent, paradoxalement, l'humanité d'une parousie que Marx, en la présentant comme l'avènement du socialisme, repousse d'ailleurs dans un avenir vague et indéfini. Marx, en bon utopiste, se représente le socialisme sous les traits d'une société de fraternité, où chacun cherche son bonheur dans le bonheur des autres, et où le culte de la marchandise n'a plus cours. »

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