Métaphysique du climat


Jean-Pierre Dupuy (professeur de philosophie sociale et politique à l'Ecole polytechnique et à l'université Stanford en Californie) écrit dans Libération le 29 juin à propos de la canicule et du réchauffement de la planète :

"Le climat est un système complexe, le réchauffement climatique n'est pas dû à la seule main de l'homme. C'est tout le système qui est en cause quand il «bugue». Dire que c'est la faute de l'homme n'a pas de sens. C'est pour cela que je défends la notion de catastrophisme éclairé, pour faire face lucidement au mal ou aux catastrophes. D'autant qu'on le sait, à se croire responsable de tout, on ne prend plus au sérieux ce qui survient."

et il ajoute :

"De mon point de vue, on assiste à ce que j'appelle la «rousseauisation» de la pensée : il n'y a plus de catastrophes naturelles, le mal ne vient que des hommes et de ce qu'ils ont entrepris. Comme le dit Rousseau dans l'Emile : «Homme, ne cherche plus l'auteur du mal, cet auteur, c'est toi-même, il n'existe d'autre mal que celui que tu causes et dont tu souffres. L'un et l'autre viennent de toi.» Rousseau l'écrit juste après le tremblement de terre de Lisbonne, le 1er novembre 1755."

En effet, Rousseau réagissait au "Poème sur le désastre de Lisbonne" de Voltaire. Dans sa lettre sur la Providence, il écrivait : "

"Sans quitter votre sujet de Lisbonne, convenez, par exemple, que la nature n’avait point rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étages, et que si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également, et plus légèrement logés, le dégât eût été beaucoup moindre, et peut-être nul. Combien de malheureux ont péri dans ce désastre, pour vouloir prendre l’un ses habits, l’autre ses papiers, l’autre son argent ?"

Dupuy a bien sûr raison de dénoncer ce discours culpabilisant qui consiste à toujours chercher des responsables à tout. Nieztsche aurait parlé d'un moralisme morbide qui masque une volonté de puissance négative, un désir de domination universel. En ce sens, les militants altermondialistes ne sont-ils pas les pires moralistes qui soient ? Pour eux le monde se partage en deux camps : les bons et les mauvais. Les bons sont les pauvres victimes innocentes des pays du Sud et les mauvais sont les occidentaux, les riches, ceux qui mangent à leur faim et qui polluent avec leurs déchets.

Pourtant Rousseau n'avait pas tort quand il dénonçait la faute des hommes. Le mal moral existe, à côté du mal physique. Une maladie est un mal physique. Mais la mauvaise hygiène de vie, les abus d'alcool et de tabac préparent le terrain de la maladie. De même nos comportements industriels, nos habitudes de consommation ont des répercussions inévitables sur l'environnement. Par ailleurs, Rousseau refusait le discours consistant à accuser Dieu d'être mauvais ou d'être faible, incapable d'empêcher le mal.

Du point de vue métaphysique, la question du mal est l'une des plus difficiles qui soient. Tout le problème est de tenir ensemble les deux affirmations : il y a du mal naturel (imperfection de la nature) et il y a du mal moral (liberté de l'homme). C'est pourquoi l'homme ne pourra jamais éliminer le mal (vieille utopie qui revient sans cesse) mais il peut tenter de le réduire et sortir ainsi du fatalisme et de l'inaction en réhabilitant la politique au sens noble : souci du bien commun, y compris pour les générations futures.

Sur ce sujet, je conseille la lecture de "Petite métaphysique des tsunamis" de Jean-Pierre Dupuy, ainsi que son livre plus ancien : "Pour un catastrophisme éclairé", paru en poche. (En consultant les liens ci-dessus, vous trouverez une présentation sommaire de ces livres sur amazon.)

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